Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Xenia Karametaxas propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Paul G. Fisher, Making the Financial System Sustainable (Cambridge University Press, 2020, 300 pages).
Les marchés financiers constituent un levier indispensable pour relever les défis écologiques, sociaux et économiques de notre époque. En s’orientant vers des activités durables, les flux financiers peuvent servir de catalyseur pour accélérer la transition vers une économie soucieuse de l’environnement et de l’humain, fondée sur une gestion efficiente des ressources. Cinq ans après le lancement des trois initiatives historiques de la communauté internationale en faveur du développement durable – la signature de l’accord de Paris sur le climat, l’accord d’Addis-Abeba sur le financement du développement durable, et l’adoption des objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations unies (ONU) – ce livre vient opportunément faire le bilan sur les progrès réalisés et les écueils restant à surmonter.
Paul Fisher a choisi d’articuler l’ouvrage autour de 14 chapitres indépendants, chacun écrit ou co-écrit par différents auteurs. Les contributeurs engagent leur réflexion dans une perspective pluridisciplinaire (économie politique, théorie financière, études de gestion d’entreprise, sciences politiques et juridiques). Tous mettent l’accent sur les paramètres de la finance durable en Europe. Cette délimitation est pertinente dans la mesure où l’Europe assume dans le monde le rôle de chef de file de la finance durable.
Même si, à première vue, la structure de l’ouvrage n’est pas facile à saisir, il propose bien plus qu’une collection d’essais sur les différents aspects de la finance durable. Les deux premiers chapitres situent le sujet dans son contexte global : comment tracer les contours d’un capitalisme vert lorsque les mécanismes de marché semblent défaillants, incitant de nombreux investisseurs à privilégier la rentabilité à court terme ? Comment intégrer les efforts publics et privés pour réduire l’écart d’investissement afin d’atteindre les objectifs ambitieux que l’Union européenne s’est fixés pour lutter contre le changement climatique ? Les chapitres suivants, plus techniques, concernent les aspects juridiques : le rôle des banques centrales face aux risques climatiques, la réglementation prudentielle des institutions financières, ainsi que la transparence et la responsabilité en matière d’investissement durable. Une série de chapitres examine les voies comportementales des institutions financières, tels l’analyse des risques environnementaux, la gestion d’entreprise, les obligations fiduciaires des investisseurs, l’impact des indices financiers pour l’investissement durable. Enfin, les quatre derniers chapitres mettent en exergue la dimension sociétale de la finance durable : les principes du financement de la transition équitable ou l’intégration des intérêts des citoyens quant au placement de leur épargne retraite.
La lecture est stimulante par le caractère innovant des propos. Dans l’ensemble, les auteurs réussissent à bâtir des ponts entre les milieux universitaires, institutionnels et ceux du secteur de la finance. Une indication plus précise des sources et références aurait parfois été souhaitable. L’ouvrage apporte un regard nouveau sur un sujet controversé. Les auteurs n’hésitent pas à partager leur expertise en proposant des solutions concrètes pour la mise en œuvre des principes de la finance durable, sans pour autant négliger la protection des intérêts économiques et standards européens.
Xenia Karametaxas
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Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Mary-Françoise Renard propose une analyse de l’ouvrage de Yukyung Yeo, Varieties of State Regulation: How China Regulates Its Socialist Market Economy (Harvard University Press, 2020, 220 pages).
Les déboires de Jack Ma rappellent qu’aucune entreprise, d’État ou privée, ne peut s’émanciper d’une régulation par le Parti communiste dans un pays où la propriété d’État, la planification et le parti sont cruciaux. Les modalités de cette régulation ont évolué dans le temps, et cette évolution est ici analysée en s’appuyant sur les variations observées dans le fonctionnement de trois types d’institutions : les droits de propriété, les structures de gouvernance, et les différentes conceptions du contrôle.
Les droits de propriété sont un élément central. La grille de lecture ne doit pourtant pas reposer sur une opposition public-privé, mais plutôt sur les différents niveaux de propriété, notamment central vs. local. Dans un marché donné, différentes institutions peuvent générer différentes formes de régulation. En Chine, la nature et les modalités de l’intervention de l’État sont passées d’un modèle de contrôle arbitraire et discrétionnaire (planificateur) à un modèle fondé sur des règles (régulateur). Des mécanismes de marché ont progressivement été introduits dans l’économie, mais le contrôle du parti ne se limite pas à la conformité des règles ou à la concurrence. Il joue un rôle actif, particulièrement dans les secteurs considérés comme stratégiques, où il s’assure que sa ligne directrice est bien suivie. Le contrôle des entreprises sous l’autorité de l’État central est principalement exercé par la State-Owned Assets Supervision and Administration Commission, mais les entreprises privées n’échappent pas à d’autres formes de contrôle.
Les structures de gouvernance reflètent les règles qui sous-tendent les relations de pouvoir entre les différentes autorités, ainsi qu’entre l’État et les firmes, dans les différents secteurs. Une gouvernance structurée verticalement et centralisée peut être fragmentée horizontalement, avec des chevauchements d’autorité. De même, une gouvernance structurée horizontalement et décentralisée peut avoir différentes relations de pouvoir avec le gouvernement central, en fonction de qui détient le pouvoir de décision. Cette grille de lecture permet de mieux comprendre pourquoi le degré de propriété publique n’est pas le seul déterminant de la régulation en Chine.
Quant aux conceptions du contrôle, elles renvoient à la façon dont s’opèrent les interventions de l’État dans les différents secteurs, ce qui dépend assez largement du contexte historique dans lequel s’est construit chacun d’eux.
Pour illustrer son propos, Yeo propose deux exemples : l’industrie automobile et l’industrie des télécommunications. L’auteur a conduit 102 interviews de cadres de niveau intermédiaire, de gestionnaires d’entreprises publiques et de chercheurs, afin d’identifier incitations et contraintes politiques auxquelles font face les dirigeants. Ce choix permet de comparer deux secteurs stratégiques : le premier très décentralisé fait l’objet d’une régulation soft et le second, très centralisé, d’une régulation hard.
Ce livre est très instructif, agréable à lire, et bien documenté. On regrettera quelques manques de précision dans la prise en compte des différents niveaux hiérarchiques et dans la définition de ce qui est « local ». Mais en se situant comme alternative aux analyses néoclassiques ou purement étatistes, cette approche enrichit la connaissance du fonctionnement de l’économie chinoise.
Mary-Françoise Renard