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Le Monde Diplomatique

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Mensuel critique d'informations et d'analyses
Updated: 2 weeks 3 days ago

Les femmes dans l'espace décisionnel congolais

Sun, 02/10/2016 - 17:46

En République démocratique du Congo, la place des femmes grandit dans les sphères du pouvoir politique et économique. Le remarquable ouvrage que leur consacre le journaliste Joseph Roger Mazanza Kindulu Ndungu souligne les hautes responsabilités acquises par nombre d'entre elles dans l'enseignement, les secteurs infirmier et médical, la magistrature, la presse écrite et audiovisuelle, les associations, le monde des affaires et les institutions internationales. La promotion des femmes, qui a commencé sous Joseph Mobutu (1965-1997), fait l'objet d'une politique volontariste (formations spéciales, séminaires ad hoc). Le malheur a son revers : la crise, le chômage et la guerre leur ont permis de s'imposer dans les espaces abandonnés par les hommes. Mais les portraits rassemblés dans ce Who's Who soulignent aussi la force et le courage dont les Congolaises doivent faire preuve face aux préjugés de leurs compatriotes « mâles » et à la standardisation rampante des comportements promue par la « communauté internationale ».

L'Harmattan, Paris, 2015, 289 pages, 30,50 euros.

La littérature à l'heure du printemps arabe

Sun, 02/10/2016 - 17:46

Dans une première partie, cet ouvrage collectif propose de lire une continuité entre les écrits antérieurs aux « printemps arabes » et les bouleversements politiques que ceux-ci ont constitués. Les auteurs abordés ont en commun de décrire, parfois en situant les intrigues dans des époques passées ou des contextes spatio-temporels flous, un climat de malaise social face aux multiples formes de violence, à la corruption, au consumérisme ou à la chape de plomb imposée par le régime en place, qui débouche, dans plusieurs romans, sur des soulèvements populaires. En étudiant, dans la seconde partie, les genres littéraires (prose, poésie, théâtre), les styles de narration ou encore la langue (usage du dialecte et/ou de l'arabe littéral) des écrits plus strictement concomitants des événements, les contributions mettent en lumière non seulement des innovations littéraires (néologismes issus des réseaux sociaux, mélange de journalisme et d'autofiction), mais aussi la place des auteur(e)s dans des sociétés en pleine ébullition.

Karthala, Paris, 2016, 351 pages, 29 euros.

Canada/États-Unis, les enjeux d'une frontière

Sun, 02/10/2016 - 17:46

Si la frontière que les États-Unis partagent avec le Mexique focalise l'attention des journalistes et des chercheurs, celle qui les sépare du Canada est beaucoup moins connue. Cette délimitation joue pourtant, comme le montre le chercheur Pierre-Alexandre Beylier, un rôle essentiel dans l'économie continentale. Totalement ouverte aux personnes, mais fermée au commerce durant le XIXe siècle, elle présente aujourd'hui les caractéristiques inverses. À partir de 1989, l'Accord de libre-échange (ALE) Canada - États-Unis la rend ainsi perméable à la circulation des marchandises : « Alors que l'intégration économique était jusqu'à présent une sorte de fatalité dictée par les forces du marché, elle est désormais posée comme politique officielle », constate l'auteur. Puis la frénésie sécuritaire engendrée par le 11-Septembre entrave la libre circulation des individus, rendant la frontière américano-canadienne fermée aux personnes…

Presses universitaires de Rennes, 2016, 367 pages, 24 euros.

Le livre de la jungle. Histoires contemporaines de l'Amazonie et de ses périphéries

Sun, 02/10/2016 - 17:46

L'Amazonie : écrin immaculé où s'épanouirait une Nature reine, paradis perdu d'une humanité préservée, terminal privilégié de communication avec le cosmos ? Non, l'immense bassin tropical est un lieu perméable à l'histoire, aux forces du marché et aux contradictions des sociétés modernes. Publié à l'occasion d'une exposition aux Rencontres de la photographie d'Arles, cet ouvrage offre un voyage désabusé — et halluciné — au cœur de cette région où les fantasmes occidentaux viennent s'échouer sur ceux des populations locales. On y rencontre ainsi une indigène qui souhaite nommer sa fille Ampicilline, du nom de l'antibiotique qui lui a sauvé la vie ; un Hitler, parce que ses parents avaient « lu ce nom dans un livre » et que « le personnage semblait très puissant » ; ou encore un missionnaire américain soucieux de protéger la culture des autochtones, tout en les évangélisant. L'Amazonie répond « aux mirages par d'autres mirages », écrit le journaliste Arnaud Robert dans sa préface. « Et, au plus profond de la jungle, on ne tombe en général que sur une variante, suante et harassée, de soi. »

Actes Sud - Fondation Luma - Les Rencontres d'Arles, Arles, 2016, 224 pages, 29 euros.

10 Petits Films pour « Strip-Tease », Pierre Carles

Sun, 02/10/2016 - 17:45

De 1993 à 1997, Pierre Carles a tourné une dizaine de sujets pour « Strip-Tease », une émission de télévision créée par Jean Libon et Marco Lamensch. Se pliant aux contraintes imposées, c'est-à-dire suivre des gens dans leur quotidien sans les questionner ni fournir d'autres explications que celles contenues dans les images et les propos des protagonistes, il n'a pas pour autant perdu le ton impertinent qui a suscité son départ des médias audiovisuels dominants, de Canal Plus à TF1. Il parvient dans la plupart de ces courts-métrages à construire une réflexion cohérente sur les hommes d'influence, politiciens, communicants, journalistes et publicitaires, alors encore balbutiants dans leurs méthodes mais déjà prêts à travailler l'opinion. Et, quand il s'intéresse à la formation des livreurs de pizzas à domicile d'une chaîne aujourd'hui numéro un des ventes, son sujet pourrait être tourné à l'identique aujourd'hui.

150 minutes, 2015, 28 euros, DVD disponible sur le site http://www.pierrecarles.org

La double dépendance. Sur le journalisme

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Loin de s'imposer naturellement comme tel, l'« événement » est une construction collective dépassant le travail des journalistes. Le processus par lequel un fait accède au rang d'information est détaillé à l'aide de multiples exemples (arrivée de la télé-réalité en France, affaire du RER D en 2004…). Structurellement tiraillé entre des logiques politiques et des contraintes économiques, le journalisme s'apparente selon l'auteur à « l'histoire sans fin d'une autonomie toujours à reconquérir parce que toujours menacée ». Aux discours célébrant la liberté de la presse, le sociologue oppose les mécanismes sophistiqués par lesquels les médias sont instrumentalisés politiquement, ainsi que la censure qui s'exerce par l'intermédiaire du marché. Bouleversé par l'avènement de la presse à grand tirage au XIXe siècle, puis par le développement de la télévision, le champ journalistique serait désormais dominé par la « pensée par sondages », qui produit artificiellement une « opinion publique » appelée à réagir à des sujets imposés.

Raisons d'agir, Paris, 2016, 192 pages, 8 euros.

Le secret le mieux gardé du monde. Le roman vrai des Panama Papers

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Un lanceur d'alerte, anonyme et invisible jusqu'au bout, livre durant des mois à deux journalistes de la Süddeutsche Zeitung des informations en provenance d'un cabinet panaméen, Mossack Fonseca, spécialisé dans la vente clés en main de sociétés-écrans à des banques, cabinets d'avocats, d'experts-comptables, etc. : 11,5 millions de documents concernant plus de 200 000 sociétés fictives, réparties dans une vingtaine de paradis fiscaux. Au profit de multinationales, mafias, grosses fortunes, dictateurs et politiciens, services secrets, terroristes. Les deux enquêteurs n'ayant pas les moyens de traiter cette masse d'informations, ils font appel à une association américaine, le Consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ, en partie financé par M. George Soros), qui compte près de deux cents journalistes du monde entier. Ils travaillent pendant un an dans le plus grand secret avant de sortir au même moment, partout, ce que l'on appellera les « Panama Papers ». Un exemple passionnant d'investigation collective et anonyme.

Seuil, Paris, 2016, 419 pages, 20 euros.

Les Vierges jurées d'Albanie. Des femmes devenues hommes

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Lule a 19 ans lorsque ses parents meurent. Dixième enfant d'une famille qui en compte onze, elle a été élevée comme un garçon, éclipsant son unique frère, beaucoup trop choyé pour répondre à ses « devoirs d'homme ». Après la disparition du chef de famille, elle s'est naturellement imposée comme le nouveau maître des lieux. Elle est devenue un homme, ou plutôt une vierge jurée. L'étude de l'anthropologue britannique Antonia Young accompagne l'histoire d'une transformation sociale propre aux populations du nord de l'Albanie. Une histoire qui suit consciencieusement le kanun, ce code de conduite transmis oralement qui fait de la défense de l'honneur un devoir de vengeance dévolu aux hommes. Sans transformation physique, une vierge jurée s'habille comme un homme, vit comme un homme et jure de ne plus avoir de rapports sexuels, pour l'honneur de la famille. Ce voyage profondément ancré dans les campagnes albanaises et kosovares lève le voile sur une pratique ancestrale, tout en aidant à reconsidérer la part du social dans la construction du genre.

Non Lieu, Paris, 2016, 240 pages, 15 euros

Une mort de plomb. Qui a tué Mauro Brutto ?

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Jeune journaliste à L'Unità, Mauro Brutto enquêtait dans l'Italie des années 1970 sur les enlèvements contre rançon, les meurtres classés faute de preuves, les tentatives d'infiltration de l'extrême gauche par les services de renseignement ou les trafics d'armes entre mouvements néofascistes et mafias. Il avait donc beaucoup d'ennemis. Le 28 novembre 1978, il est fauché par une voiture dans une rue de Milan. La police bâcle son enquête et conclut à un accident. Telle n'est pas la conviction des collègues et amis de Brutto, ni de sa famille, ni du documentariste et écrivain Pino Adriano. Près de quarante ans plus tard, convaincu qu'il s'agissait d'un assassinat, celui-ci a décidé de rouvrir le dossier. À partir d'archives et d'entretiens inédits, il retrace son parcours et tente de trouver les responsables de sa mort. Au croisement de l'enquête policière et du récit historique, ce travail offre un éclairage captivant sur l'Italie des « années de plomb ».

La librairie Vuibert, Paris, 2016, 286 pages, 20,90 euros.

Storia di un comunista

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Dans cette « autobiographie philosophique » unique en son genre, Toni Negri raconte sa jeunesse, ses premiers travaux et ses combats dans le mouvement pour l'autonomie ouvrière. Politisé au sein de la Jeunesse catholique italienne dans les années 1950, Negri va devenir communiste avant de découvrir Karl Marx. Passant assez vite « de la laïcité radicale à l'athéisme vertueux », il adhère à l'opéraïsme de la revue Quaderni Rossi (Raniero Panzieri, Mario Tronti), avant de fonder, avec des comités d'usine radicalisés, l'organisation Potere Operaio (1969), qui s'oppose au Parti communiste italien et se définit comme « le parti de l'insurrection ». Il n'en poursuit pas moins une carrière universitaire brillante. Opposé à la dérive militariste de son parti, il crée en 1973 Autonomia Operaia, qui jouera un rôle important dans les grandes grèves et mobilisations de l'année 1977 — le Mai 68 italien. Curieusement, Antonio Gramsci est absent de son horizon intellectuel, jusqu'en 1978. Le volume se clôt sur l'arrestation, en 1979, du philosophe, accusé notamment d'être l'inspirateur de l'assassinat d'Aldo Moro.

Ponte alle Grazie, Milan, 2015, 607 pages, 18 euros.

Jean Genet. Traces d'ombres et de lumières

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Ancien militant du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR) et de la Fédération anarchiste, Patrick Schindler expose la vie et l'œuvre de Jean Genet sous un éclairage politique. Il analyse plus brièvement sa méthode de création littéraire et sa poétique. Ouverte par le rappel de la vie du voleur, celle d'avant le succès littéraire — Genet volait surtout des draps et des livres de poésie —, cette biographie intellectuelle étudie ensuite l'œuvre romanesque, rédigée avant la « claque psychanalytique » infligée par Jean-Paul Sartre avec Saint Genet, comédien et martyr (Gallimard, 1952). Puis elle se tourne vers l'œuvre théâtrale qui va se centrer sur une question très sartrienne : « Comment supporter l'enfer des autres ? » La dernière partie retrace les engagements politiques : les Black Panthers, le Groupe d'information sur les prisons (GIP) et enfin la Palestine. Un appareil de notes, qui restitue le contexte politique et social, et deux textes majeurs de Genet (« Le condamné à mort » et « Quatre heures à Chatila ») complètent l'ouvrage.

Éditions libertaires, Saint-Georges-d'Oléron, 2016, 207 pages, 14 euros.

Au nom de l'humanité. L'audace mondiale.

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Le titre de cet ouvrage peut paraître démesuré par rapport aux possibilités de sa déclinaison concrète. Comme fondement de son manifeste, Riccardo Petrella propose de donner à l'humanité le statut de sujet juridique et politique, dont il dit qu'il « exprime la conscience de l'appartenance des êtres humains à une même entité, la communauté humaine, et leur volonté de bien vivre ensemble avec aussi les autres espèces vivantes ». Même si ceux qui pourraient adhérer à cette définition sont nombreux, l'ordre mondial actuel entraîne les habitants de la planète Terre dans un sens rigoureusement inverse. Face aux catastrophes annoncées, l'auteur propose de s'attaquer à leurs causes structurelles. Il énonce plusieurs batteries de mesures, s'appuyant sur un impressionnant appareil critique, et regroupées autour de trois « audaces mondiales » : déclarer illégale la pauvreté ; désarmer la guerre ; mettre fin à la finance actuelle. Petrella n'est pas seulement un lanceur d'alerte, c'est aussi un lanceur d'idées qui pourraient changer le monde.

Couleur livres, Bruxelles, 2015, 245 pages, 18 euros.

Juger. L'État pénal face à la sociologie

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Voici un ovni dans le monde des livres consacrés à la justice pénale, tant il déconcerte au premier abord. Ayant assisté à plusieurs procès de cour d'assises, l'auteur analyse la domination d'État à travers le prisme de la justice criminelle. « Un sujet de droit serait avant tout un sujet jugeable, emprisonnable, arrêtable, condamnable. » Il conteste la notion de responsabilité individuelle et s'appuie sur les travaux du sociologue durkheimien Paul Fauconnet portant sur la notion de responsabilité collective dans le passage à l'acte. Il invite à dépasser la contradiction État pénal - État social et propose de faire jouer, d'un côté, « une vision sociologique contre une vision individualisante » et, de l'autre, « une vision libertaire contre une vision socialisante ». Il suggère de traiter le crime de manière civile, par le biais notamment de l'indemnisation ; ou, à tout le moins, de repenser « une gestion des illégalismes qui s'émanciperait de la logique de la pénalité et de la répression ». Bref, une justice issue d'un État qui « ne fonctionnerait plus à la souveraineté », cet exercice d'un pouvoir historiquement situé, produisant des effets d'assujettissement.

Fayard, Paris, 2016, 297 pages, 18 euros.

Technique et civilisation

Sun, 02/10/2016 - 17:45

La critique de la technoscience et de l'artificialisation du vivant a donné lieu à une littérature importante bien que minoritaire. Mais sans doute doit-on au philosophe et historien des sciences Lewis Mumford l'anticipation la plus clairvoyante et approfondie d'un désastre généralisé dont nul ne s'avise plus aujourd'hui de nier la possibilité, même si son imputation au système capitaliste suscite nombre de réticences. Ce n'est assurément pas le cas pour Mumford. Rédigée au début des années 1930, cette fresque magistrale aux formulations savoureuses fait ressortir avec une puissance inégalée le lien entre développement du machinisme, essor du capitalisme et déshumanisation des sociétés, le tout remis en perspective depuis l'aube de l'humanité. L'ouverture d'esprit de l'auteur et son immense érudition lui ont permis d'aborder toutes les phases de cette évolution (« éotechnique », « paléotechnique », « néotechnique »). La dernière pourrait englober l'ère numérique, dont l'avènement est célébré par des prophètes intéressés ou inconscients.

Parenthèses, Marseille, 2016, 480 pages, 19 euros.

Henri Dutilleux

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Il aura fallu le procès en « collaboration » intenté par un très inculte service culturel de la mairie de Paris pour que l'on parle à nouveau d'Henri Dutilleux (1916-2013), compositeur majeur du XXe siècle. Il manquait à ce discret génie, coincé entre Olivier Messiaen et Pierre Boulez, un ouvrage à sa mesure. Pierre Gervasoni s'y est attelé dans cette somme impressionnante. Évitant les écueils de la thèse austère comme de la surenchère de documents, cet émérite musicologue livre le roman d'une vie riche de rencontres et d'obstacles surmontés. Car, à l'instar d'interprètes français comme Régine Crespin ou Georges Prêtre, Dutilleux ne fut guère prophète en son pays. Cet Angevin imprégné de paysages flamands fut écarté du succès par la « dictature » de la musique sérielle, devenue après guerre un académisme jaloux. Adepte de la tonalité, Dutilleux séduisit l'étranger avant de revenir, sur le tard, chez lui. Il est désormais, pour la génération des Thierry Pécou, Thierry Escaich, voire du défunt Olivier Greif, un maître de référence. Celui que le grand public peut écouter sans avoir honte d'y trouver du plaisir, ce mot si grossier aux oreilles des snobs.

Actes Sud - Philharmonie de Paris, Arles-Paris, 2016, 1 760 pages, 49 euros.

Les invasions barbares. Une généalogie de l'histoire de l'art

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Née en Allemagne au XVIIIe siècle, l'histoire de l'art a entretenu d'emblée des liens forts avec le racisme, qui commence à se structurer à la même époque, expose Éric Michaud. Alors que surgissent les mouvements d'indépendance nationale en Europe, c'est le « moment romantique », avec ce qu'il implique d'obsession des origines, qui accentue le processus. Les peuples barbares, « virils », sont valorisés selon une nouvelle lecture de l'histoire, essentialiste et organique. La culture est biologisée, et l'on voit dans les arts l'expression naturelle de l'esprit d'un peuple et d'un sol. Ce retournement historiographique va faire du Juif le nouveau barbare — ce en quoi les écrits de Richard Wagner excellent à montrer la voie. Du philosophe Friedrich Hegel à Eugène Viollet-le-Duc, d'Aloïs Riegl à Heinrich Wölfflin, Élie Faure ou René Huyghe, tous grands historiens de l'art, aucun ne semble selon l'auteur avoir échappé à l'empire délirant du « racialisme ». Une conception qui survivrait encore, indique-t-il dans un trop court épilogue, dans les classifications de l'art contemporain…

Gallimard, Paris, 2015, 320 pages, 23 euros.

Enseignement de l'histoire. Enjeux, controverses autour de la question du fascisme

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Deux professeures d'histoire de l'enseignement secondaire étudient le processus de la casse systématique de l'enseignement en général et de l'histoire en particulier, baptisée « réforme » — un processus qui s'étire depuis les années 1970-1980. Secondés par l'affaiblissement de la résistance des enseignants, des parents et des élèves, tous les gouvernements français et leur majorité parlementaire ont suivi les consignes de l'Union européenne et de l'Organisation de coopération et de développement économiques. Fidèles au Livre blanc de Bruxelles de 1995, ils ont généralisé, après le Conseil européen de mars 2000, le programme de formation au plus bas niveau de « masses » vouées aux seules tâches d'exécution avec comme matières de base les « 3 I », selon le sigle italien (Internet, inglese, impresa, « Internet, anglais et entreprise ») ; ce qui minore les contenus scientifiques et la réflexion « abstraite », c'est-à-dire critique. Ce bref ouvrage est fort documenté sur cette politique et sur le bilan accablant de la liquidation d'une discipline propre à nourrir l'indocilité. Le traitement de la question du fascisme (les manuels utilisent-ils par exemple le terme de « fascisme » ou celui de « totalitarisme » ?) fait l'objet d'un examen très éclairant.

Adapt-SNES, Paris, 2016, 126 pages, 12 euros.

Histoire du sabotage, de la CGT à la Résistance

Sun, 02/10/2016 - 17:45

Cette première synthèse historique globale sur le sabotage étudie l'articulation entre la dimension ouvrière de cette méthode, adoptée par la Confédération générale du travail (CGT) en 1897, et ses applications militaires. Conçu au départ comme un travail volontairement mal fait, le sabotage acquiert avant 1914 une dimension plus radicale. Au cours de la première guerre mondiale, les manœuvres allemandes sur le continent américain afin d'entraver l'effort de guerre allié contribuent à faire basculer la figure du saboteur vers celle du traître, qui occupera une place centrale dans l'entre-deux-guerres. Mais il faut attendre le second conflit mondial (auquel plus de la moitié de l'ouvrage est consacrée) pour que cette méthode entre dans une ère nouvelle en s'industrialisant au sein du Special Operations Executive britannique. Soucieux de ne pas surestimer l'importance ni les effets du sabotage, l'auteur insiste sur le caractère souvent démesuré des attentes militantes et militaires qui y sont associées, et des peurs qu'il suscite. Le sabotage dans sa forme théorisée apparaît, pour finir, intrinsèquement lié aux réseaux et aux infrastructures constituant les bases de l'industrialisation depuis la fin du XIXe siècle.

Perrin, Paris, 2016, 496 pages, 25 euros.

« Je veux Mossoul », dit Lloyd George

Fri, 30/09/2016 - 09:53

En 1916, en pleine guerre mondiale, Paris et Londres négocient le démembrement de l'Empire ottoman. Un premier schéma est entériné par les diplomates François Georges-Picot et Mark Sykes. Les frontières du Proche-Orient tracées par les vainqueurs après la fin du conflit seront finalement différentes. Mais ce partage restera connu sous le nom d'« accords Sykes-Picot ». Extraits.

Dans son journal, le 11 décembre 1920, Maurice Hankey, secrétaire du gouvernement britannique, notera : « Clemenceau et Foch ont traversé [la mer] après l'armistice, et on leur a donné une grande réception militaire et publique. Lloyd George et Clemenceau ont été conduits à l'ambassade de France… Quand ils furent seuls, Clemenceau dit : “Bien. De quoi devons-nous discuter ?” “De la Mésopotamie et de la Palestine”, répondit Lloyd George. “Dites-moi ce que vous voulez”, demanda Clemenceau. “Je veux Mossoul”, dit Lloyd George. “Vous l'aurez”, a dit Clemenceau. “Rien d'autre ?” “Si, je veux aussi Jérusalem”, a continué Lloyd George. “Vous l'aurez”, a dit Clemenceau. » (…)

La division du Proche-Orient en plusieurs Etats (…) s'est opérée contre la volonté des populations et en utilisant une rhétorique libérale que le recours à la force rendait vide de sens. Par rapport à l'évolution politique de la dernière décennie ottomane, où la cooptation des notables et l'établissement d'un système électoral, certes très imparfait, avaient tracé la voie à une vraie représentation politique, l'autoritarisme franco-anglais constitue une régression durable.

En tant que découpage territorial, le partage a duré, essentiellement parce que les nouvelles capitales et leurs classes dirigeantes ont su imposer leur autorité sur le nouveau pays. Mais les événements de 1919-1920 furent ressentis comme une trahison des engagements pris (en premier lieu, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes). Ils dépossédèrent surtout les élites locales de leur destin. Quand le nationalisme arabe reviendra en force, il ne reconnaîtra pas la légitimité de ce découpage et appellera à la constitution d'un Etat unitaire, panacée à tous les maux de la région. Les Etats réels seront ainsi frappés d'illégitimité et durablement fragilisés. La constitution du Foyer national juif entraînera la région dans un cycle de conflits qui semble loin de se terminer. (…)

Tiré de nos archives en ligne (« Comment l'Empire ottoman fut dépecé »).

Changer d'ère

Thu, 29/09/2016 - 16:56

On ne présente plus Internet, ce réseau électronique qui permet de relier tous les ordinateurs de la planète. Pratiquement inconnu du grand public il y a à peine deux ans, Internet est devenu un phénomène social mondial qui suscite enthousiasmes et controverses. Comme souvent lorsque fait irruption une innovation technologique accompagnée d'un effet de mode, beaucoup s'extasient, d'autres sont effrayés.

Si les origines du réseau remontent à la fin des années 60, sa véritable naissance date de 1974, quand, répondant à un souhait du Pentagone, un professeur de l'université de Californie à Los Angeles, M. Vint Cerf, mit au point la norme commune permettant de fédérer tous les ordinateurs et lui donna son nom : Internet. M. Vint Cerf avait découvert que les ordinateurs, comme les hommes, sont grégaires, et qu'ils ne sont jamais aussi efficaces que lorsqu'ils sont reliés à d'autres ordinateurs.

Mais le développement massif de la galaxie Internet est beaucoup plus récent, il date en fait de 1989 lorsque, à Genève, des chercheurs du CERN mirent au point le World Wide Web, la « Toile », fondé sur une conception hypertexte qui a transformé Internet en réseau plus convivial. Grâce au Web, le nombre d'ordinateurs connectés dans le monde double chaque année, et le nombre de sites Web tous les trois mois. On estime que, en l'an 2000, il y aura environ 300 millions d'utilisateurs d'Internet ; et le temps passé devant un écran d'ordinateur sera supérieur, dans les pays développés, à celui passé devant l'écran de télévision. Courrier électronique, forums de discussion et consultation d'archives sont les utilisations les plus fréquentes ; elles sont rapides, faciles, interactives et peu onéreuses.

Structuré en mailles de filet, Internet est très résistant (il a été conçu, au moment de la guerre froide, pour survivre à une agression nucléaire). On dit qu'il est « aussi difficile à détruire qu'une toile d'araignée avec une balle de fusil ». Son protocole est du domaine public et n'appartient à aucune firme commerciale. Indestructible, décentralisé, propriété de tous, Internet - utilisé surtout, dans les premières années, par les professeurs universitaires et les milieux de la contre-culture américaine - a fait renaître le rêve utopique d'une communauté humaine harmonieuse, planétaire, où chacun s'appuie sur d'autres pour perfectionner ses connaissances et aiguiser son intelligence.

Ces caractéristiques, indiscutables, ne doivent pas nous empêcher de réfléchir aux dangers qui planent sur Internet. D'une part, sectes, négationnistes et autres pornographes envahissent déjà le réseau ; d'autre part, les entreprises commerciales songent à en prendre le contrôle, alors que les deux tiers de l'humanité sont, de fait, exclus d'Internet. Une foule de problèmes nouveaux se posent, juridiques, éthiques, politiques, culturels. Internet parviendra-t-il à demeurer longtemps un espace de communication libre, peu cher, ouvert aux citoyens, et à l'abri des grands prédateurs du multimédia ?

Autre interrogation : Internet favorisera-t-il l'avancée vers la « démocratie directe » ? Certains théoriciens expriment cette idée sans précaution, et prédisent que, dans un futur proche, nous pourrons voter en pianotant tout simplement sur le clavier de notre ordinateur personnel. Une telle possibilité électronique, affirment-ils, permettrait aux citoyens d'intervenir directement, en temps réel et sans intermédiaire dans la prise de décisions politiques, et, surtout, leur fournirait la possibilité de contourner l'influence de groupes de pression (lobbies) qui confisquent pour leur seul profit la démocratie.

Evidemment, cette idée du cybervote ne manque pas d'attrait. Mais, outre qu'elle suppose un équipement des foyers en matériel informatique fort coûteux, elle comporte de graves dangers. En premier lieu, celui de réintroduire le principe de la passion dans le champ politique. Imaginons un référendum sur la peine de mort organisé quelques jours après la découverte d'un assassinat particulièrement monstrueux et largement médiatisé. Le résultat serait évident. La démocratie électronique peut ainsi conduire, directement, au lynchage électronique. L'interactivité immédiate peut devenir une sorte de multiplicateur du cybercrétinisme. Et ce qui, aux yeux de certains, pouvait apparaître comme un progrès civique se transformer en régression politique.

Car, contrairement à ce que la vogue actuelle de l'instantanéité et du temps réel tente d'imposer, la démocratie suppose une distance entre les faits et les décisions ; un recul consacré à la réflexion, au débat, au dialogue afin que, même sur Internet, la raison l'emporte toujours sur les passions.

Par ailleurs, ce qui menace en effet Internet, c'est la tentation, de plus en plus manifeste, des grands mastodontes de la communication de s'emparer commercialement du « réseau des réseaux ». Les marchands se lancent à l'assaut d'Internet. Une féroce bataille oppose actuellement les fabricants d'ordinateurs personnels et les partisans des ordinateurs de réseaux, appareils moins chers (environ 2 500 F) et spécialisés dans la consultation d'Internet. Le géant Microsoft, quelques mois après avoir lancé dans le cyberespace Slate un magazine d'actualités sophistiqué et original, a fait un nouveau pas vers l'offre de contenu en s'associant à la chaîne de télévision américaine National Broadcasting Company (NBC, qui appartient à General Electric), dont les journaux télévisés obtiennent la plus forte audience aux Etats-Unis.

Ensemble, ces deux géants de la communication ont investi près d'un milliard de dollars pour mettre au point un réseau d'information en continu de type nouveau qui, pour la première fois, marie télévision et ordinateur. Ce réseau futuriste, baptisé MSNBC (Microsoft-National Broadcasting Company), diffuse des informations que l'on peut, à la fois, voir sur son téléviseur (par câble), lire en télétexte sur l'écran informatique, mais aussi regarder en images et sons sur un site Web (http://www.msnbc.com) d'Internet. Bref, on peut désormais recevoir des informations télévisées sur son ordinateur.

MSNBC a commencé à émettre le 15 juillet 1996 en diffusant un entretien avec le président Clinton, alors en campagne électorale, qui répondait aux questions du présentateur vedette Tom Brokaw. Certaines des questions avaient été préalablement formulées par des citoyens sur Internet par courrier électronique, ce qui a fait dire à des commentateurs que c'était le premier « entretien interactif » du président..

Ce réseau d'information en continu via télévision et ordinateur cherche directement à concurrencer la chaîne CNN, et témoigne de l'âpreté de la guerre pour le contrôle de l'information que se livrent les grandes firmes industrielles.

La volonté de Microsoft de dominer le réseau Internet est confirmée par l'annonce faite en juillet 1996 par M. Bill Gates de lancer un nouveau journal en ligne sur la Toile, Cityscape qui proposera tous les renseignements utiles des grandes villes américaines, des informations routières et, surtout, des petites annonces d'emplois de cadres. Ces rubriques constituent environ 35 % des recettes des grands quotidiens des Etats-Unis, qui voient ainsi surgir une nouvelle menace pour leur survie. Et, comme le redoutent beaucoup de citoyens, un nouveau danger pour la pluralité de l'information.

A cet égard, d'ailleurs, l'essor d'Internet crée une nouvelle inégalité entre les « inforiches » et les « infopauvres ». Non seulement au Nord, dans les pays développés, où seule une minorité dispose d'ordinateur personnel, mais surtout au Sud, où le manque d'équipements minimaux marginalise des millions de personnes. Il y a, par exemple, davantage de lignes téléphoniques installées dans la seule île de Manhattan (New York) que dans toute l'Afrique noire, et, on le sait, sans un téléphone connecté à un ordinateur, impossible d'accéder à Internet. Et ne parlons pas du sous-équipement en matière d'électricité (plus de deux milliards de personnes ne disposent pas d'électricité sur la planète) ni de la désastreuse situation en matière d'alphabétisation.

Il ne fait pas de doute qu'avec Internet, média désormais aussi banal que le téléphone, nous entrons dans une nouvelle ère de la communication. Beaucoup estiment, non sans ingénuité, que plus il y aura de communication dans nos sociétés, plus l'harmonie sociale y régnera. Ils se trompent. La communication, en soi, ne constitue pas un progrès social. Et encore moins quand elle est contrôlée par les grandes firmes commerciales du multimédia. Ou quand elle contribue à creuser le fossé des inégalités entre citoyens d'un même pays ou habitants d'une même planète.

Changer d'ère ? Le phénomène Internet y contribue à sa manière. Mais, pour que cette ère nouvelle voie l'essor des cultures, des solidarités et des libertés, les citoyens doivent s'approprier sans tarder Internet, avant que, une fois encore, l'aristocratie des finances, des médias et des loisirs ne s'en empare définitivement. Pour son seul profit.

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