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Le Monde Diplomatique

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Mensuel critique d'informations et d'analyses
Updated: 2 weeks 4 days ago

Brigadistes !

Mon, 06/02/2017 - 18:22

À l'occasion du 80e anniversaire de la création des Brigades internationales, les Amis des combattants en Espagne républicaine (ACER) et les éditions du Caïman se sont associés afin de leur rendre hommage. Cet ouvrage hétéroclite rassemble des textes d'auteurs-compositeurs-interprètes (Cali, Serge Utgé-Royo) et d'écrivains (Didier Daeninckx, Patrick Bard, etc.), ainsi que deux bandes dessinées. Les nouvelles occupent la plus grande part, et certaines captent la forte particularité de l'héritage qu'ont laissé les brigadistes. On lira ainsi avec intérêt Patrick Fort (« Els ombres del coll dels Belistres »), Tomas Jimenez (« El comunero »), et Roger Martin (« Viva la quince Brigada ! »). On retiendra la confession du personnage de la nouvelle de Maurice Gouiran (« Le premier soir à Barcelone ») : « Je suis encore repu de cette soif de liberté, de ce fol espoir qui nous a unis et étreints durant ces heures-là. »

Éditions du Caïman - ACER, Saint-Étienne, 2016, 336 pages, 15 euros.

La bonne focale. De l'utilité des cas particuliers en sciences sociales

Mon, 06/02/2017 - 18:20

La « focale » qu'évoque le titre de cet essai est celle du raisonnement inductif en sciences sociales : à partir de plusieurs cas d'études, comment gagner en généralité par le biais de l'analogie ? Cette perspective est inspirée par l'étude comparative menée lors du second conflit mondial par Everett Hughes, sociologue à l'université de Chicago, sur les relations interethniques aux États-Unis dans le secteur de la production d'armements. Apparentée à la tradition d'enquête de terrain et d'étude des interactions individuelles propre à l'école de Chicago, l'approche inductive de Howard S. Becker permet d'en dépasser le cadre social et historique pour enrichir le corpus des sciences sociales de conclusions originales sur le fonctionnement des mondes de l'art, de la musique, de l'éducation ou… de la drogue. S'attachant aux paramètres particuliers afin de nuancer les lois générales, le sociologue ouvre la boîte noire des processus d'interaction pour y découvrir de nouvelles dimensions permettant la transposition, d'un cas à l'autre, des mécanismes régissant les interactions entre groupes sociaux.

La Découverte, coll. « Grands repères guides », Paris, 2016, 272 pages, 21 euros.

L'idée de confort, une anthologie. Du zazen au tourisme spatial

Mon, 06/02/2017 - 18:20

Comment l'humanité a-t-elle imaginé et mis en pratique les moyens d'améliorer son bien-être depuis les « peaux de biches et de lapins » disposées à l'entrée des cavernes à la fin de la grande glaciation de Würm ? Ce recueil propose près d'une trentaine de textes de diverses époques. Tomás Maldonado dénonce le rôle du confort dans « l'assujettissement du tissu social de la société capitaliste naissante » ; Jacques Pezeu-Massabuau se livre à un subtil et paradoxal « éloge de l'inconfort » ; Siegfried Giedion évoque l'héritage ascétique des moines du Moyen Âge. Gordon W. Hewes, Bernard Rudofsky et Joseph Rykwert s'intéressent, eux, aux habitudes posturales adoptées à travers le globe. La « quarantaine de centimètres » séparant ceux qui s'asseyent au sol et ceux qui utilisent des chaises, écrit Rudofsky, « ouvre sur des perspectives, au propre comme au figuré, très différentes ». Un sujet apparemment trivial, mais riche d'enseignements.

Éditions B42 - Centre national des arts plastiques, Paris, 2016, 272 pages, 25 euros.

Eichmann avant Jérusalem. La vie tranquille d'un génocidaire

Mon, 06/02/2017 - 18:19

Rapport sur la banalité du mal : ainsi la philosophe Hannah Arendt avait-elle sous-titré son Eichmann à Jérusalem, récit du procès (1961) et de l'exécution (1962) de l'organisateur du judéocide. Ce dernier lui apparaissait alors comme un médiocre fonctionnaire, un « assassin de bureau » qui se serait contenté d'obéir aux ordres génocidaires des dirigeants nazis. Cette interprétation, Bettina Stangneth la récuse, archives à l'appui. L'historienne et philosophe allemande a recherché et consulté l'ensemble des textes et des interviews d'Adolf Eichmann entre la fin de la seconde guerre mondiale et son enlèvement par le Mossad en 1960 en Argentine, notamment les mystérieux « papiers argentins » du nazi néerlandais Willem Sassen. S'y révèle un convaincu, parfaitement conscient et fier de ses crimes. Selon Dieter Wisliceny, « le sentiment d'avoir cinq millions de personnes sur la conscience était pour lui une satisfaction extraordinaire ». Soixante-dix ans plus tard, l'histoire du génocide nazi continue de s'écrire.

Calmann-Lévy, Paris, 2016, 672 pages, 26,90 euros.

Mis à jour le 6 février 2017.

Les Potentiels du temps. Art et politique.

Mon, 06/02/2017 - 18:19

Comment construire des futurs dans un temps marqué par « l'ivresse mélancolique » et « l'envoûtement négatif » ? Telle est la question posée par ce livre qui se veut une « contribution à la bataille qui s'engage ». Les auteurs défendent l'exercice d'une « pensée potentielle » permettant d'expérimenter des bifurcations dans le cours du temps, échappant au discours sur la fin de l'histoire comme à la fascination apocalyptique. On notera, parmi les modèles proposés, les expérimentations collectives à l'échelle 1:1, qui jouent ou rejouent des moments politiques de lutte, de procès ou de délibération. Ainsi de la « bataille d'Orgreave » de Jeremy Deller, qui reconstitue grandeur nature, en 2001, après un travail d'enquête, une journée de lutte des mineurs britanniques d'Orgreave, en juin 1984. Ou « Cleveland contre Wall Street », « procès de cinéma se substituant à un impossible procès de la crise des subprime  ». C'est dans l'espace de l'art que se trouverait ainsi abrité un « espace politique que la démocratie et la justice “actuelles” se montrent incapables de réaliser ».

Manuella, Paris, 2016, 296 pages, 19 euros.

Manifeste pour une géographie environnementale

Mon, 06/02/2017 - 18:18

On considère souvent la géographie comme une matière ennuyeuse, alors qu'elle s'intéresse aux enjeux les plus importants du XXIe siècle. Ce Manifeste réunit vingt-trois chercheurs qui s'efforcent de débarrasser leur discipline de son image vieillotte. Selon eux, celle-ci est due à des approches qui n'ont pas su se détacher d'une focalisation étroite sur le local, ni percevoir le caractère biaisé de ce que l'on appelle le développement durable. Le livre s'oppose ainsi aux géographes « climatosceptiques », sinon « écolosceptiques », qui jugent les lanceurs d'alerte « catastrophistes ». Composé de seize chapitres abordant des aspects théoriques et historiques, ainsi que d'études de cas dans les pays des Sud, il défend l'idée que la géographie de l'environnement doit prendre en compte la dimension fortement politique de ce sujet, a fortiori dans le contexte contemporain des débats sur l'anthropocène. Un ouvrage qui devrait faire date, comme La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre, d'Yves Lacoste, il y a quarante ans.

Presses de Sciences Po, Paris, 2016, 440 pages, 25 euros.

La Trompette du Jugement dernier

Mon, 06/02/2017 - 18:18

En Allemagne, après la mort de Georg Friedrich Hegel (1831), conservateurs chrétiens et jeunes hégéliens républicains se déchirent. Les premiers occupent les rares hauts postes universitaires ; les seconds sont des « intellectuels précaires » en colère. Bruno Bauer, théologien passé à l'athéisme militant, propose à son jeune ami Karl Marx (23 ans) de jeter avec lui un pavé dans la mare : ce sera cette Trompette du Jugement dernier, pamphlet très drôle publié en 1841 sous couvert d'anonymat. La philosophie de Hegel y est violemment dénoncée comme athée, antiallemande et révolutionnaire par de prétendus chrétiens fidèles à la lettre de la Bible. La farce sera prise au sérieux et applaudie par les journaux conservateurs, avant sa rapide interdiction. Les marxologues ont ignoré ou nié la part de Marx dans cet ouvrage traditionnellement attribué au seul Bauer. Nicolas Dessaux mène une enquête minutieuse et reconnaît sa patte stylistique aussi bien qu'intellectuelle dans plusieurs chapitres. Il repère, en particulier, un concept majeur du Marx de la maturité : le fétichisme.

L'Échappée, Paris, 2016, 400 pages, 22 euros.

L'Âge des démagogues. Entretiens avec Chris Hedges

Mon, 06/02/2017 - 18:18

Dans cette série d'entretiens réalisés avant l'élection de M. Donald Trump à la présidence des États-Unis, l'ancien correspondant de guerre du New York Times Chris Hedges fustige les élites de droite comme de gauche, asservies au « pouvoir de la grande entreprise ». Ses analyses, celles d'un lauréat du prix Pulitzer opposé à l'intervention militaire américaine de 2003 en Irak et mis à l'écart par les grands médias, révèlent en creux ce qu'un système, celui de l'« État-entreprise », entend occulter : ces accords de libre-échange contractés en dehors de tous les étais démocratiques, comme le partenariat transpacifique, relèvent du business. Hedges rappelle le concept — défini par le philosophe Sheldon Wolin — de « totalitarisme inversé », c'est-à-dire issu non d'un parti fasciste mais « d'organisations privées, économiques, qui investissent leur argent dans le champ public, achètent les élus, modifient la Constitution et rendent en fin de compte les citoyens impuissants ». Premières victimes : les lanceurs d'alerte comme M. Edward Snowden, contre qui le gouvernement de M. Barack Obama fit durement campagne.

Lux, Montréal, 2016, 128 pages, 12 euros.

Pourquoi je suis athée

Mon, 06/02/2017 - 18:17

L'indépendantiste indien Bhagat Singh (1907-1931) est condamné à mort après avoir, avec ses camarades, abattu un policier britannique et lancé une bombe non létale à l'intérieur de l'Assemblée en avril 1929. Parmi ses notes de prison, une dizaine de pages devenues célèbres retracent son cheminement vers l'athéisme. Issu d'une famille sikhe croyante, Singh s'oppose au mariage que lui arrangent ses parents. Au contact de groupes clandestins, il devient marxiste, rejette la stratégie non violente du très pieux Mohandas Karamchand Gandhi. Cela, combiné à quelques lectures anarchistes, le conduit à abandonner toute idée de croyance religieuse. Il refuse surtout le « conte de fées » de la réincarnation. Une seule voie dès lors : consacrer sa vie à la lutte pour la liberté. Fustigeant l'« alliance morbide » entre les autorités religieuses et les colons, Singh n'oublie pas d'attaquer l'ordre édicté par les prêtres brahmanes.

Éditions de l'Asymétrie, Toulouse, 2016, 120 pages, 10 euros.

Sortir de l'imposture sécuritaire

Mon, 06/02/2017 - 18:17

Magistrat, Vincent Sizaire démonte ici le « sécuritarisme », héritier de l'autoritarisme bonapartiste, qu'il qualifie d'« imposture ». « L'inflation normative sans précédent à laquelle nous avons assisté ces vingt-cinq dernières années » constitue selon lui un « formidable aveu d'impuissance ». En effet, le droit pénal ne devrait présenter qu'un caractère subsidiaire : l'option répressive ne devrait intervenir que « si les autres formes de régulation s'avèrent manifestement insuffisantes à faire cesser l'atteinte à la cohésion sociale ». Et, au lieu de se focaliser sur la délinquance visible, il conviendrait de s'attaquer à ce qui porte directement atteinte à nos fondements démocratiques : la délinquance invisible, « la criminalité organisée et la délinquance financière qui ne sont que les deux faces de la même pièce ». Sizaire dénonce également la très faible diffusion de la connaissance juridique, en particulier à l'école.

La Dispute, Paris, 2016, 136 pages, 13 euros.

Russie : vers une nouvelle guerre froide ?

Mon, 06/02/2017 - 18:17

Entre l'Occident et la Russie sévit une nouvelle guerre froide, dont cet ouvrage collectif s'attache à décrypter les formes. Depuis la chute de l'Union soviétique, l'arme nucléaire n'est plus aussi centrale dans la doctrine militaire russe, quoique Moscou ait réaffirmé fin 2014 la possibilité de l'utiliser en cas d'agression. Le Kremlin ne jouit plus des relais politiques d'hier, mais les médias extérieurs qu'il finance n'en cherchent pas moins à séduire les opinions publiques étrangères. Aux Nations unies, le représentant russe défend les valeurs traditionnelles de concert avec le Vatican ainsi qu'avec certains pays africains et asiatiques. Les cyberattaques constituent le volet irrégulier de ce soft power. Pour un stratégiste proche du Kremlin, la Russie serait même dans une position plus avantageuse que l'Union soviétique : « Ce n'est plus une guerre, mais un jeu à trois : États-Unis, Russie et Chine. (…) Nous devons observer et jouer dans un jeu ouvert où tous les coups sont permis et les alliances d'autant plus fluctuantes que tous les joueurs sont objectivement bien plus liés les uns aux autres qu'autrefois. »

La Documentation française, Paris, 2016, 192 pages, 7,90 euros.

Sans domicile fisc

Mon, 06/02/2017 - 18:17

L'un est député-maire, l'autre sénateur-maire, tous deux dans le Nord. Les frères Alain et Éric Bocquet, communistes, ont éprouvé, notamment par l'intermédiaire des lobbys qui les représentent, la puissance de ceux qui refusent toute législation visant à limiter l'évasion fiscale : les multinationales, les riches actionnaires et leurs experts. Ces derniers ont même inventé une expression désormais célèbre, l'« optimisation fiscale », plus distinguée que la simple « évasion », mais tout aussi coûteuse pour les finances publiques. Comme le résume parfaitement le titre, l'argent n'a pas de patrie — ce que rappelle Jean Ziegler dans sa préface. Ces mille et une entourloupes représenteraient un manque à gagner de 60 à 100 milliards d'euros en France, et de plus de 1 000 milliards en Europe. Les deux élus en décortiquent les mécanismes et avancent une série de propositions.

Le Cherche Midi, Paris, 2016, 288 pages, 17,50 euros.

Contrées. Histoires croisées de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa

Mon, 06/02/2017 - 18:17

Contrées donne la parole à ceux qui luttent à Notre-Dame-des-Landes comme dans le val de Suse, en Italie, où la population résiste depuis quarante ans à un projet de train à grande vitesse qui nécessite le percement de tunnels. Chaque mouvement a connu des périodes où un territoire échappait au contrôle de l'État. Les trente jours d'existence des libres communes de Venaus et de la Maddalena, en 2012, représentent un des moments forts du combat italien : des barricades sont alors érigées dans tous les points de la ville pour empêcher un forage. La réoccupation à Notre-Dame-des-Landes est une sécession, alors que, dans le val de Suse, on substitue à une vallée traversée par l'autoroute une vallée en lutte. Les questions de l'action directe, de l'illégalisme ou de la violence sont battues en brèche par la bataille commune et les nouvelles pratiques de décision. « En route, mauvaise troupe, (…) La Chimère tend sa croupe » — Paul Verlaine.

L'Éclat, Paris, 2016, 384 pages, 15 euros.

Rushes de Bruno Muel

Mon, 06/02/2017 - 18:17

Dans la palette des sentiments qu'expriment les visages filmés par Bruno Muel depuis un demi-siècle se distinguent la colère et l'espoir, la détermination, la joie du « je » qui devient « nous », la défaite et l'attente. Des maquis colombiens aux usines de Sochaux en France en passant par le Chili de septembre 1973, Muel a saisi des révoltés parfois défaits mais jamais vaincus, à une époque où demander à un guérillero des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ce qu'il ferait après la victoire n'apparaissait pas comme démagogique ou naïf. On ressent avec quelle violence le rapport à l'avenir s'est depuis inversé à la lecture de ce livre-bilan. Le réalisateur y retrace une trajectoire qu'on hésite à dire sienne, tant la notion de collectif occupe une place centrale dans sa conception du cinéma. Tissé d'entretiens, de photographies, d'archives, l'ouvrage contient aussi un DVD qui ressuscite deux films : Les Trois Cousins, de René Vautier (1970), et Avec le sang des autres, réalisé par Muel dans les usines Peugeot de Sochaux en 1974.

Éditions Commune, Marseille, 2016, 240 pages, 25 euros.

Carnets de Montréal

Mon, 06/02/2017 - 18:17

L'auteure et journaliste française Catherine Pont-Humbert dresse le portrait de vingt-quatre créateurs montréalais de naissance ou d'adoption — mais parmi lesquels ne figure aucun Amérindien. À travers ces rencontres, c'est Montréal, cité « plurielle, multiple, aléatoire », qui est célébrée. L'auteure, qui porte sur la deuxième plus grande ville du Canada « un regard d'amie, de sœur, de complice », a rencontré l'écrivain Dany Laferrière, la chanteuse Ariane Moffatt, l'architecte Phyllis Lambert et bien d'autres, dans un lieu qui les identifie et auquel ils tiennent. Tous ont évoqué leur vision de Montréal, qui fête cette année son 357e anniversaire. Les confidences révèlent une ville présentée comme un « matériau social et plastique », un lieu à la fois historique et utopique. Parmi les particularités de cet ouvrage, le mariage de la voix de la journaliste avec celle de ses interlocuteurs, qui rend parfois difficile la distinction entre les propos de l'intervieweuse et les propos de l'interviewé(e), rapportés non plus comme discours mais comme événement. Si ces Carnets sont une louange du Canada, ils n'en révèlent pas moins ses contradictions, ses faiblesses et ses tabous.

Éditions du Passage, Montréal, 2016, 292 pages, 28 euros.

Le dessous des cartes. Asie, itinéraires géopolitiques

Mon, 06/02/2017 - 18:17

Selon que l'on regarde depuis l'Europe ou depuis le monde arabe, l'Asie présente un visage différent, notait dans sa préface le créateur de l'émission « Le dessous des cartes », Jean-Christophe Victor, quelques mois avant sa mort. Cette vision de la région traverse tout l'ouvrage qu'il a coordonné avec Robert Chaouad. La première partie aborde les questions de démographie, d'insécurité sociale ou d'urbanisme, ainsi que, plus classiquement, l'état des lieux de pays comme la Chine, le Japon, le Bangladesh, etc. Textes, cartes et graphiques souvent inédits s'emploient à rendre simple une région qui ne l'est pas. C'est particulièrement vrai dans la deuxième partie, consacrée aux tensions régionales : Corée(s), mer de Chine, Cachemire, mais aussi batailles autour de l'accès à l'eau. Le troisième chapitre pointe ce qu'il y a de plus neuf dans la région, des routes de la soie au Bhoutan en passant par l'Indonésie.

Tallandier - Arte Éditions, Paris-Strasbourg, 2016, 144 pages, 24,90 euros.

Le siècle de Perón. Essai sur les démocraties hégémoniques

Mon, 06/02/2017 - 18:16

Et si, loin de constituer un phénomène historique circonscrit, le péronisme — du nom du président argentin Juan Perón (1895-1974) — incarnait l'archétype d'un régime politique à dimension universelle ? C'est l'hypothèse développée par Alain Rouquié dans cet ouvrage qui instruira au-delà du cercle des latino-américanistes. L'expérience péroniste permettrait de saisir les traits distinctifs d'un type de « démocratie hégémonique » émergeant dans un contexte de « malaise social généralisé contre des gouvernements à la fois impopulaires et inefficaces » : accroissement des inégalités, domination oligarchique et incapacité des institutions à résoudre la crise. Ses caractéristiques : l'autorité charismatique d'un chef et le suffrage universel. La première engendre une pratique du pouvoir qui s'organise par-dessus (et contre) les institutions en place. Le second institue et renouvelle la légitimité populaire de ces pouvoirs « refondateurs » instaurés contre les intérêts dominants de l'étape antérieure. Argentine, Bolivie, Équateur, Russie, Thaïlande, Turquie et Venezuela sont ici étudiés et comparés.

Seuil, Paris, 2016, 416 pages, 25 euros.

Définir l'homme, un acte politique

Mon, 06/02/2017 - 18:12

La philosophie politique peut-elle se dispenser d'une réflexion sur la nature de l'être humain ? Vieille question, que reprennent trois ouvrages récents. Noam Chomsky, connu à la fois pour ses recherches sur le langage et pour son engagement politique, tente avec Quelle sorte de créature sommes-nous ? une approche systémique (1). À la base de sa réflexion, le langage, qui, selon lui, sert moins à communiquer qu'à penser. Dans ce livre bref en forme de manuel, il entreprend de montrer dans quelle mesure les créatures limitées que nous sommes du point de vue cognitif peuvent tout de même s'approcher d'une idée du bien commun.

Marc Crépon et Frédéric Worms adoptent une approche différente dans La Philosophie face à la violence (2). Disparue du programme de philosophie des classes de terminale, la notion de violence relève de plusieurs domaines, notamment du champ moral, mais également du champ politique. L'État, par exemple, a-t-il le droit d'en user ? Et à partir de quel moment a-t-on le droit d'y résister ? La réflexion dérive alors rapidement vers la liberté, en en cherchant le fondement dans la nature de l'être humain ; mais, afin de ne pas élargir par trop le cadre, les auteurs proposent d'examiner la question à l'intérieur de deux dates : 1943-1968. En 1943, Jean-Paul Sartre publie L'Être et le Néant (Gallimard), où il fonde, à partir d'une interrogation sur l'être et sur la conscience, les prémisses de son engagement à venir. Face à la violence, c'est désormais autour de cette philosophie, dans sa filiation ou de façon antagoniste, que sera pensé l'état du monde de l'après-guerre : la décolonisation, l'âge atomique, la révolution… Les philosophes modernes — Sartre, Albert Camus, Maurice Merleau-Ponty — dialoguent ici entre eux, comme le font ensuite les postmodernes — Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Michel Foucault, Emmanuel Levinas : c'est l'intérêt du livre. Il est fort intéressant de suivre chez chacun l'articulation entre point de vue sur l'être et positionnement politique, et de comprendre ainsi, par exemple, pourquoi Sartre, à l'opposé de Camus, refuse de mettre sur le même plan la torture et le terrorisme.

Martin Heidegger a inspiré à la fois l'existentialisme de Sartre et la philosophie de la différence de Derrida. Depuis longtemps, une controverse flambe sur l'antisémitisme du philosophe, ravivée par la publication en 2014 en Allemagne des premiers Cahiers noirs, qu'il a commencés au début des années 1930, quand il avait une quarantaine d'années, et tenus quasiment jusqu'à la fin de sa vie, en 1976. Dans ces Cahiers couvrant les années 1931-1946, il expose ouvertement son point de vue sur le rôle qu'il attribue aux Juifs dans l'histoire de l'être : censés avoir contribué à en occulter la question, ceux-ci ont posé les bases d'un totalitarisme technique dont, en dernière analyse, ils ont été les victimes. Autrement dit, les Juifs furent responsables de leur propre extermination.

L'antisémitisme de Heidegger et son engagement nazi ont suscité le déni ou la condamnation, les deux attitudes ayant en commun de séparer la vie de l'œuvre, passant ainsi à côté d'une interrogation proprement philosophique des faits et des écrits, que seul Levinas aura tentée dans Quelques réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme (Payot & Rivages, 1997). Donatella Di Cesare (3) reprend ce travail de compréhension de l'antisémitisme politique et philosophique de Heidegger, qui s'enrichit des matériaux des Cahiers noirs. Dans un premier temps, en réinscrivant Heidegger dans l'histoire philosophique allemande, de Martin Luther à Friedrich Nietzsche en passant par Emmanuel Kant et Friedrich Hegel ; ensuite, en se mesurant avec les textes des Cahiers, dans une confrontation serrée où le commentaire est mené avec clarté et rigueur. Même ceux que la philosophie de l'auteur d'Être et Temps indiffère pourront trouver un intérêt au tour que Di Cesare (heideggerienne de longue date) joue à son maître, lorsqu'elle découvre dans cet antisémitisme le résidu métaphysique que le philosophe de Fribourg ne put éliminer de sa propre pensée.

(1) Noam Chomsky, Quelle sorte de créature sommes-nous ? Langage, connaissance et liberté, Lux, coll. « Instinct de liberté », Montréal, 2016, 200 pages, 14 euros.

(2) Frédéric Worms et Marc Crépon, La Philosophie face à la violence, Éditions des Équateurs, coll. « Parallèles », Paris, 2015, 208 pages, 13 euros.

(3) Donatella Di Cesare, Heidegger, les Juifs, la Shoah : les « Cahiers noirs », Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », Paris, 2016, 400 pages, 24 euros.

L'art de la dissonance

Mon, 06/02/2017 - 18:12

En octobre dernier, l'attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan a suscité quelques remous amusants. Sans surprise, certains tenants de la « grande culture » s'en sont trouvés assombris. Alain Finkielkraut y a vu un « indice annonciateur de la fin des temps modernes européens (1)  ». Annie Ernaux, célèbre pour ses récits nourris d'autobiographie, considère également que ce choix est « le signe d'un tournant : ce qui est proprement littéraire se dissout (2)  » — sans, par ailleurs, porter de jugement sur l'œuvre. Irvine Welsh, l'auteur de Trainspotting, a semblé plus nettement meurtri : sur Twitter, il a traité les jurés de « vieux hippies baragouinant à la prostate rance » (13 octobre 2016).

En filigrane, toujours la même vieille question : qu'est-ce que la littérature ? Elle se double d'un vigoureux mépris pour la culture « populaire », si regrettablement vulgaire. Inversement, le long silence de Dylan après l'annonce officielle fut un parfait bonheur pour ceux qui saluent dans le rock (3) son pouvoir de désordre ; car, s'il accepte sa légitimation par les experts de la « grande » culture, qu'en est-il alors de sa force de perturbation du goût dominant ? Le lauréat a bien fini par envoyer un petit mot de remerciement, qu'il n'a pu lire en personne, « retenu » qu'il était « par d'autres engagements ». C'est précisément sur la question litigieuse qu'il se penche avec désinvolture pour mieux l'invalider, en rappelant que lui ne s'est jamais demandé si ses chansons étaient de la littérature. Ce qui lui importait, c'était de trouver le studio adéquat pour enregistrer (4).

Mettre l'accent sur la dimension littéraire du rock (ou, plus largement, de la chanson) afin de le sauver de son indignité d'art mineur, voilà une tentation très répandue, y compris chez certains de ses laudateurs. Les essais biographiques rêveurs que la romancière Christine Spianti consacre avec feu à Jim Morrison et Patti Smith (5) les présentent ainsi tous deux comme des chamans guerriers, sous le parrainage d'Arthur Rimbaud… Il est vrai que Morrison et Smith se sont voulus poètes. Mais c'est en tant que chanteurs rock qu'ils ont été saisissants. L'obstination de Patti Smith à affirmer son admiration pour Charles Baudelaire ou Jean Genet témoigne de l'émouvant désir de respectabilité qui a saisi une partie du rock, notamment aux États-Unis, depuis le tournant des années 1960-1970. Cette volonté d'anoblissement est ambiguë : d'une part, sont minorées la voix et la musique ; d'autre part, le rock avait longtemps eu pour rôle de subvertir les codes de la culture officielle, et non de s'y rattacher.

Pourtant, alors même que le rock de ces années-là fait aujourd'hui figure d'objet de musée, il n'est pas certain que ces multiples entreprises de neutralisation de son « mauvais genre » soient véritablement efficaces. Le Velvet Underground, qui, comme David Bowie ou le punk, a subi l'embaumement, reste méchant, sexy, peu assimilable. Formé en 1965 autour de Lou Reed et de John Cale, il chantait la rue, celle des paumés, des dealers, des travestis. Il chantait Heroin en un temps où s'épanouissaient le « peuple des fleurs » et sa quête du peace and love : à l'évidence, il était à contre-courant. D'ailleurs, même avec l'appui d'Andy Warhol, il n'a pu être durablement à la mode. Trop rétif, même aux injonctions implicites de l'avant-garde, autre fabrique de codes. C'est ce que saluent de façon ardente Philippe Azoury et Joseph Ghosn (6) en détaillant les enjeux de ses expérimentations musicales, appels à l'insurrection intime et à l'écoute de ce qui, d'ordinaire, est tu. Non, ce n'était pas de la littérature, mais… du rock. De l'émotion électrique.

(1) « Le Nobel à Dylan, déclin de la culture ? », Causeur.fr, 18 octobre 2016.

(2) « Annie Ernaux : “La littérature se dissout” », Le Monde, 15 octobre 2016.

(3) Il importera peu ici que Dylan ait chanté aussi de la folk, de la country, etc. Il représente un mouvement plus vaste : le rock.

(4) Discours à lire sur le site officiel www.nobelprize.org

(5) Christine Spianti, Jim Morrison. Indoors/Outdoors, Maurice Nadeau, Paris, 2016, 224 pages, 18 euros ; Patti Smith. La poétique du rock. New York, 1967-1975, Maurice Nadeau, 2016, 200 pages, 18 euros.

(6) Philippe Azoury et Joseph Ghosn, The Velvet Underground, Actes Sud, Arles, 2016, 180 pages, 16,90 euros.

Guatemala, trop de divisions pour une révolution

Mon, 06/02/2017 - 18:12

D'avril à septembre 2015, le Guatemala a traversé une grave crise politique. Après la révélation de faits de corruption impliquant des personnalités au sommet de l'État, le président Otto Pérez Molina a dû quitter le pouvoir. Pour beaucoup, sa décision était inévitable après les multiples manifestations qui avaient secoué le pays. Mais la rue était-elle seule à la manœuvre ?

Une riche compilation de témoignages, essais et articles contribue à répondre à la question (1). Certains y analysent les manifestations comme un « réveil citoyen » transcendant les classes sociales. Ainsi, M. Gabriel Wer, à l'origine avec quelques autres de la première manifestation via Facebook, n'ambitionnait pas d'obtenir davantage que la démission du président. À l'inverse, la militante étudiante Lucía Ixchíu raconte les efforts d'organisation au sein de l'université nationale San Carlos pour politiser cet « embryon de mouvement social, qui, pour pouvoir continuer à se former dans le ventre de la lutte, a besoin de renforcer l'organisation à tout niveau ». Selon elle, cette crise a repolitisé l'université publique et permis un « retour des étudiants au sein du peuple ».

Le sociologue Rodrigo Véliz s'interroge sur le lâchage de M. Pérez Molina par les élites économiques et par les États-Unis, ses soutiens d'antan. Les critiques de l'administration Obama envers l'ancien président depuis 2012 révéleraient ainsi la stratégie de Washington : « faire le ménage dans les institutions étatiques », dans le cadre d'une politique « d'investissements et de pressions économiques » visant à répondre à la présence accrue de la Chine et de la Russie dans la région. Raison pour laquelle la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (Cicig) bénéficierait des soutiens dont elle jouit actuellement. Ses travaux ont notamment permis de juger de nombreux anciens militaires proches du pouvoir, érigeant cette institution au rang de modèle régional que, selon l'auteur, les États-Unis aimeraient exporter dans les pays voisins.

Irma Velásquez Nimatuj, journaliste et anthropologue, analyse la relation d'abord distante des organisations indigènes et rurales à ce mouvement principalement urbain. Elle signale la division du pays, profondément travaillé par le racisme. Une division qui s'est traduite dans les manifestations : si beaucoup de citadins battaient le pavé pour la première fois, les populations rurales, elles, s'en sont souvent tenues à l'écart. La corruption, explique en effet Velásquez Nimatuj, « n'est pas le problème structurel qui les empêche d'accéder à une vie digne ». Elle estime plutôt que, en ce qui les concerne, « les problèmes substantiels n'ont pas été abordés » : ils recherchent le « démantèlement de l'État raciste, qui impliquerait une redistribution équitable de la richesse du pays ».

Dans un essai dense et succinct, au terme duquel il conclut à une « révolution qui n'a jamais eu lieu » (2), le sociologue Virgilio Álvarez Aragón consacre un chapitre à la tentative de réforme profonde de la loi électorale et des partis politiques (LEPP), une urgence démocratique majeure. Faute de stratégie de pression citoyenne et de vision structurée, le mouvement aurait échoué face à l'imbrication des élites économiques et politiques, n'obtenant qu'une réformette de plus.

L'échec stratégique, analyse l'auteur, tient aussi à l'imaginaire politique des classes moyennes, libérales et hostiles aux mesures redistributives : « L'aliénation imposée par la théologie de la prospérité, d'un côté, et le discours individualiste et consumériste, de l'autre, ont produit une idéologie suburbaine manquant de contenus politiques progressistes et d'encouragements à une organisation sociale revendicative. » L'idéologie libertarienne, puissante au sein des élites économiques guatémaltèques, a donc pu être légitimée par le discrédit de l'exécutif. Dans ces conditions, ce que beaucoup ont analysé comme une « révolution citoyenne » aurait en fait renforcé l'hégémonie culturelle de la droite qu'avait, un temps, incarnée M. Pérez Molina.

(1) Regina Solís Miranda (sous la dir. de), La Fuerza de las plazas. Bitácora de la indignación ciudadana en 2015, Friedrich-Ebert Stiftung, Guatemala, 2016, 324 pages.

(2) Virgilio Álvarez Aragón, La Revolución que nunca fue. Un ensayo de interpretación de las jornadas cívicas de 2015, Serviprensa, Guatemala, 2016, 80 quetzales, 180 pages.

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