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Diplomacy & Crisis News

Des missionnaires aux mercenaires

Le Monde Diplomatique - Tue, 07/02/2017 - 12:38
Aurélie piau. — « Le Sacré Pouvoir d'H A », 2011 aurelie-piau.blogspot.fr

Quel fil peut bien relier les ministres ou anciens ministres Emmanuel Macron, Fleur Pellerin et Najat Vallaud-Belkacem, la présidente du conseil régional d'Île-de-France Valérie Pécresse, les journalistes Jean-Marie Colombani et Christine Ockrent, l'homme d'affaires Alain Minc, le banquier Matthieu Pigasse (l'un des propriétaires du Monde SA) ou encore l'ancien premier ministre Alain Juppé ? Tous ont effectué un passage par la French-American Foundation dans le cadre de son programme « Young Leaders ». Tout comme cinq cents autres personnalités françaises, parmi lesquelles le président François Hollande lui-même.

Depuis 1981, cette fondation privée organise des séminaires de deux ans où une douzaine de jeunes Français côtoient les élites américaines de la même classe d'âge. Officiellement, l'objectif est de favoriser le dialogue franco-américain. En réalité, il s'agit de bien faire comprendre aux futurs décideurs français — entrepreneurs, responsables politiques, journalistes — les bienfaits de la mondialisation à l'anglo-saxonne. Certes, on constatera ultérieurement que, ici ou là, l'opération de séduction a échoué (avec M. Nicolas Dupont-Aignan, par exemple). Mais, dans l'ensemble, ces jeunes gens effectueront une brillante carrière au sein des structures de pouvoir et dans les affaires. Des personnalités qui ne feront pas dans l'antiaméricanisme…

Ce programme est révélateur de la stratégie d'influence des États-Unis. Celle-ci s'exerce de manière encore plus spectaculaire à travers le pantouflage des élites, notamment européennes, dans de grandes entreprises américaines. Dernier exemple en date — ô combien symbolique : la décision de M. José Manuel Barroso de rejoindre la banque Goldman Sachs. L'ancien président de la Commission européenne va mettre son expérience et son carnet d'adresses — où figurent notamment tous les dirigeants politiques de l'Union — au service de ce prestigieux établissement… qui a participé au maquillage des comptes de la Grèce pour lui faire intégrer l'euro.

M. Barroso n'est pas le seul commissaire à se reconvertir dans des fonctions lucratives : ce fut le cas récemment de Mme Neelie Kroes (Bank of America) et de M. Karel De Gucht, négociateur et thuriféraire du grand marché transatlantique (CVC Partners). M. Mario Draghi est, quant à lui, directement passé de Goldman Sachs à la présidence de la Banque d'Italie, puis à celle de la Banque centrale européenne (BCE) (1).

Ces allers-retours entre public et privé relèvent de pratiques courantes aux États-Unis. Sous la présidence de M. William Clinton, les instigateurs de l'abrogation — réclamée par Wall Street — du Glass-Steagall Act de 1933, qui séparait banques de dépôt et banques d'affaires, se sont facilement reconvertis dans de grands établissements financiers. Le big business sait récompenser ceux qui l'ont bien servi. À la tête de la Réserve fédérale (FED) de 2006 à 2014, M. Ben Bernanke a favorisé la création monétaire au profit des acteurs financiers en déversant 8 000 milliards de dollars dans l'économie au nom du sauvetage des banques. En 2015, il a intégré Citadel, l'un des principaux fonds d'investissement du pays. La même année, M. Timothy Geithner, l'un des protégés de M. Clinton, ancien secrétaire au Trésor de M. Barack Obama, a rejoint Warburg Pincus, un grand fonds d'investissement.

Le monde des affaires sait aussi miser sur ceux qui, demain, pourront faire prévaloir ses intérêts, lui ouvrir les portes des administrations, relayer son discours. Aux États-Unis, bien sûr, mais aussi dans le reste du monde. Cette stratégie permet de rendre désuet le recours aux pots-de-vin et autres enveloppes. Plus besoin de corrompre ! Fini aussi le chantage direct, les menaces, pour obtenir un marché ou des renseignements. On fait désormais dans le soft power, le lobbying.

Le coup d'envoi en France de cette stratégie de l'influence, que d'aucuns pourraient qualifier de trafic d'influence, a été donné en 1986 lorsque Simon Nora, figure tutélaire et emblématique de la haute administration, a intégré à 65 ans la banque d'affaires Shearson Lehman Brothers, devenue par la suite Lehman Brothers. Au cours de la décennie 1990, la mondialisation a accéléré le pantouflage. Désormais, les grands établissements financiers américains, qui veulent pénétrer le marché français et européen, font leurs emplettes au sein de l'élite hexagonale. Toute une génération d'énarques et d'inspecteurs des finances approche de l'âge de la retraite. Leur salaire en tant que hauts fonctionnaires, dirigeants de banques hier nationalisées ou de grandes entreprises, pour être correct, n'avait cependant rien à voir avec ceux pratiqués outre-Atlantique. Banques et fonds d'investissement leur font miroiter la perspective de gagner en quelques années autant que durant toute leur carrière passée. Tentant ! D'autant qu'ils éprouvent le sentiment d'aller dans le sens de l'histoire.

C'est ainsi qu'en 1989 Jacques Mayoux, lorsqu'il était fonctionnaire, président de la Société générale, est devenu le représentant de Goldman Sachs à Paris. Il a été suivi de beaucoup d'autres. À commencer par M. Philippe Lagayette, ancien directeur de cabinet de M. Jacques Delors lorsqu'il était ministre de l'économie, des finances et du budget, ancien directeur général de la Caisse des dépôts, qui rejoignit JP Morgan en 1998. Les énarques dits « de gauche » ne sont pas les derniers à succomber aux sirènes de ce capitalisme de connivence. Ces personnalités sont choisies et touchent de confortables honoraires pour ouvrir les portes et pour faciliter les fusions et les rachats d'entreprises françaises que lanceront les banques.

Au fil des ans, des centaines de sociétés sont passées de main en main par le biais d'achats à effet de levier (leverage buy-out ou LBO). Chaque fois, les banques d'affaires touchent une commission, leurs dirigeants français ayant bien mérité leurs émoluments. Peu importe, finalement, que la France se désindustrialise, que les salariés soient licenciés pour accroître le rendement du capital, que les déficits commerciaux se creusent. L'essentiel n'est-il pas de saisir la vague de cette finance triomphante ? Hier, ou plutôt avant-hier, les fonctionnaires issus des grands corps de l'État — s'ils pantouflaient déja — s'estimaient investis d'une mission : ils servaient la nation. À partir des années 1990, les mentalités changent. La mondialisation a transformé les missionnaires en mercenaires. Le capitalisme débridé a remplacé le capitalisme d'État.

Ce mouvement s'est amplifié au fil des ans. En 2004, M. Charles de Croisset, ancien président du Crédit commercial de France (CCF), a marché dans les traces de Mayoux en devenant conseiller international chez Goldman Sachs et vice-président de Goldman Sachs Europe. Les branches françaises des cinq grandes banques d'investissement américaines sont toutes dirigées par un énarque (2). M. Jean-François Cirelli, ex-dirigeant de Gaz de France et d'Engie, ancien membre du cabinet du président Jacques Chirac, vient de rejoindre la filiale pour la France et le Benelux de BlackRock. Peu connu du grand public, ce fonds est le premier gestionnaire d'actifs du monde (5 000 milliards de dollars).

Tout aussi symbolique est le parcours de Mme Clara Gaymard. Cette énarque, épouse de M. Hervé Gaymard, ministre de M. Chirac, avait été nommée en 2003 déléguée aux investissements internationaux. De quoi étoffer son carnet d'adresses, l'un des plus fournis de l'énarchie. En 2006, General Electric (GE) lui proposa de prendre la tête de son antenne France, puis la vice-présidence de GE International, l'entité chargée des grands comptes et des relations avec le gouvernement. Elle a servi d'intermédiaire lors du rachat par GE de la division énergie d'Alstom, au printemps 2014. Une fois l'opération achevée, le président du groupe, M. Jeffrey R. Immelt, s'est séparé d'elle brusquement, mais, soyons-en sûrs, avec de bonnes compensations. Pendant dix ans, Mme Gaymard a été l'un des relais essentiels de l'influence américaine en France : membre de la Trilatérale (3), présidente de la Chambre américaine de commerce, membre du conseil d'administration de la French-American Foundation.

Proposer de belles fins de carrière aux seniors, miser sur quelques personnages-clés dans le Tout-Paris médiatico-politique, investir dans de jeunes cadres prometteurs : tels sont les axes de ce soft power qui s'exerce aux quatre coins de la planète. Cet investissement dans la jeunesse se retrouve dans le cas d'Alstom : à la demande du gouvernement français, GE a promis de créer 1 000 emplois nets en France sur trois ans. Mais le groupe s'est au passage engagé à recruter 240 jeunes de haut niveau à la sortie des grandes écoles pour ses « programmes de leadership ». Ces derniers se verront proposer une carrière accélérée chez GE, aux États-Unis et dans le reste du monde. Une opération fort habile de captation des cerveaux ; une manière aussi de vider un peu plus la France de ses forces vives.

Car l'expatriation des capitaux s'accompagne désormais d'un exode des jeunes diplômés vers les États-Unis, mais aussi vers Londres, Singapour ou ailleurs. Ce sont bien souvent les enfants de cette nouvelle caste de managers mercenaires, les relations des parents aidant à leur trouver des postes intéressants dans les multinationales. Dans ce monde globalisé, les élites françaises ont adopté les mêmes comportements et les mêmes ambitions que leurs homologues américaines.

(1) Lire Vicky Cann, « De si confortables pantoufles bruxelloises », Le Monde diplomatique, septembre 2015.

(2) Cf. Jean-Pierre Robin, « Créer son fonds d'investissement, ainsi font font font les petites marionnettes », Le Figaro, Paris, 17 octobre 2016.

(3) Créée en 1973 par M. David Rockefeller, la Commission trilatérale a pour but de resserrer les liens entre les États-Unis, l'Europe et le Japon. Lire Diana Johnstone, « Une stratégie “trilatérale” », Le Monde diplomatique, novembre 1976.

Article mis à jour le 20 janvier 2017 : Jacques Mayoux n'est pas le père de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Muslim Refugees and a Muslim (Host) Nation in South Asia

Foreign Policy Blogs - Tue, 07/02/2017 - 11:52

U.S. President Donald Trump’s executive orders with regards visa restrictions for people from seven Muslim-majority states has generated heat across the globe. At the same time, Bangladesha Muslim majority state in the Indian subcontinentis planning to send refugee Rohingya Muslims from neighboring Myanmar to a low-lying island in the Bay of Bengal that critics say is ‘unlivable’.

According to available records, nearly 70,000 Rohingyas from Myanmar’s Muslim-majority areas in the north have fled to Bangladesh ever since the Myanmar military launched a fierce crackdown last October that led to the killings of over 100 Rohingyas and widespread damage to their protests.

The government action was aimed at nabbing unidentified Rohingya insurgents who were alleged to have killed nine Myanmar police personnel on October 9th at three border posts in the district of Maungdaw.

About 2,500 Rohingya families have since taken refuge at a makeshift camp in eastern Bangladesh’s Cox’s Bazar near the border with Myanmartaking the number of Rohingya in Bangladesh, both the old refugees and the current ones, to an estimated 500,000 as per some estimates.

But in January, Bangladesh brought out an old and much-maligned 2015 plan from the cold storage and proposed to move all Myanmar refugees, old and new, to the island of Thengar Char, which is totally isolated and gets easily flooded on high tide days.

Defending the move, Shahriar Alam, Bangladesh’s junior foreign affairs minister, said that the “move is temporary, as Myanmar would eventually take back its citizens”.

News agency Reuters quoted him saying, “After considering all aspects, we have taken a firm decision to shift them to the island.”

The move, however, does not have a clear timeframe currentlyand might begin after proper shelters are in place on the island. But one thing that Alam was adamant upon was this: “Myanmar will have to take them back.” Read ‘soon’ between the lines.

More than the current place of residence, it is the question of their identity itself that has placed the Rohingyas between the rock and a hard place. The Myanmar authorities often call them ‘Bengali Muslims’, thereby inferring that they are actually (illegal) immigrants from Bangladesh. Bangladesh, in turn, refers to them as ‘Muslim nationals of Myanmar’.

Compare it with the global umbrage directed at non-Muslim nations for identifying refugees by their religion.

Giving a sense of déjà vu with regards the turmoil in the developed world about the issue of refugees, Bangladesh is resisting the prospects of the Rohingya refugees ‘mixing with Bangladeshi citizens’.

In a January 26th release on a Bangladesh government website, it was informed that several panels were being set up by the government to examine the influx of Rohingya Muslims, which the country fears could lead to law and order issues as they mix with residents.

“There’s a fear that the influx of Rohingya Muslims from time to time will lead to a degradation of law and order situation, spread communicable diseases … and create various social and financial problems,” the notice elaborated.

Going a step further, Alam said to Reuters in an almost Donald Trump style, “They are getting involved in drugs and other unlawful activities. If we could have confined them in the camp, it would not have happened.”

Apart from Trump, many of the nationalist leaders of Europe have said something similar. The outrage directed at them has been soul-numbingly deafening. Maybe it would have helped if they were all spokespersons of Muslim nations too.

Meanwhile, Myanmar says it is “ready to talk” about the repatriation of Rohingyasbut only of those who left the country after October 9th, 2016. It says it cannot take Bangladesh’s word about all the refugees being Myanmar nationals.

In other words, a certain group is being allegedly persecuted by its native administration. But when that group tries to seek refuge in another country, it finds itself unwelcome there. But then, there is no way back home either.

Sounds familiar?

And therein lies the point. This writing is neither about the actions of Bangladesh and Myanmar, nor the current and historical state of affairs of the Rohingya Muslims. It is about requesting all of us to stop being both savage and (savagely) holier-than-thou on the issue of refugees. It is a matter of a monumental human challenge, and taking sides blindly and fanatically would not be, well, human.

Listen to the opposing voices of the host nations too. It is not always merely about xenophobia/’religio’phobia.

The post Muslim Refugees and a Muslim (Host) Nation in South Asia appeared first on Foreign Policy Blogs.

Mattis Relieves Tokyo for Now. But Will Trump Turn the Screws?

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 19:34
Foreign leaders are wondering whether they can trust the president -- or if they'll have to work with subordinates.

Give Trump’s National Security Team Some Time. They’re Just Getting Started.

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 19:16
The president continues to be irascible toward allies, imperturbable toward Russia, and acting with reckless disregard for consequences. But his team ain't so bad.

What Exactly Is Going on Between Russia and Belarus?

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 19:13
Lukashenko is speaking as though there’s a new development to watch. In reality, it’s a repeat performance.

Kiev Is Fueling the War in Eastern Ukraine, Too

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 18:37
A muted White House isn't just emboldening the Kremlin -- it's inciting the politics of war throughout Ukraine.

Turkey Rounded Up Over 800 Islamic State Suspects in Massive Anti-Terror Op

Foreign Policy - Mon, 06/02/2017 - 18:30
Turkey tries to push the terror group back on the defensive.

Maximilien Decroux. Au-delà du mime…

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:23

En France, l'art du mime est souvent associé à Bip, le personnage créé par Marcel Marceau en 1947. La discipline a pourtant traversé l'histoire, prenant les formes les plus différentes : des Grecs — « imitateurs de génie » selon les auteurs, aux comédiens sans texte ni décor — jusqu'à aujourd'hui, en passant par les mimes blancs du XIXe siècle (le fameux Pierrot). À Paris, dans les années 1940, Étienne Decroux développe une grammaire gestuelle poétique : le « mime corporel ». S'éloignant de la pantomime, il estime que « le mime consiste à produire du virtuel, non à restituer le connu : c'est un acte, non une redite ». Plus tard, son fils Maximilien reprendra le flambeau en l'adaptant. Artiste d'inspiration comique, interprète, pédagogue, il défend le mime comme un art vivant, complet et autonome. Il sera le premier à faire dialoguer le langage du corps avec d'autres : la poésie, les musiques électroniques… Un ouvrage qui aide Maximilien à sortir, enfin, de l'ombre de son père.

Riveneuve - Archimbaud Éditeur, Paris, 2015, 286 pages, 20 euros.

Chacun son chemin (Separate Way)

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:22

En 1936, Objectivist Press, fondé sous le parrainage de William Carlos Williams par les poètes du mouvement objectiviste — notamment George Oppen, Louis Zukofsky et Charles Reznikoff lui-même —, publie Chacun son chemin (Separate Way), ici présenté en édition bilingue : treize poèmes de formes variées dressant un portrait inquiet des années 1930, entre contemplations solitaires dans les rues de New York, prières de paix pour le peuple juif, récits de massacres (la guerre civile autrichienne de 1934) et tableaux de la misère contemporaine. Le poème Dépression décrit ainsi avec une précision dévastée les conséquences de la crise de 1929 : « Ils descendaient la rue à deux ou trois / parlant d'emplois / d'emplois qu'ils obtiendraient peut-être, d'emplois qu'ils avaient eus / sans jamais se tourner pour regarder les arbres ou le fleuve / scintillant au soleil. » La traduction d'Eva Antonnikov restitue le lyrisme contenu et l'enthousiasme fragile qui font la manière de Reznikoff, poète peu connu (même s'il fut jadis édité en France par P.O.L) nous invitant aujourd'hui à poursuivre sa quête lumineuse : « La tâche de l'homme n'est pas encore finie. »

Héros-Limite, Genève, 2016, 80 pages, 12 euros.

Musiques noires. L'Histoire d'une résistance sonore

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:22

Dans cet ouvrage collectif, Jérémie Kroubo Dagnini, spécialiste des musiques populaires jamaïquaines, convie une vingtaine d'intellectuels et d'artistes à (re)penser les musiques noires sous l'angle de la résistance. Il choisit de répondre à un texte du musicologue anglais Philip Tagg intitulé « Lettre ouverte sur les musiques “noires”, “afro-américaines” et “européennes” », adressé à ses collègues universitaires le 4 mai 1987 — et qui, jusqu'à aujourd'hui, continue de faire des remous. Dagnini juge cette lettre « nauséabonde », « perfide » et raciste, dans la mesure où, selon lui, son auteur tend à « déposséder les musiques noires des caractéristiques musicales fréquemment étiquetées “noires” » pour leur prêter des origines européennes — autrement dit, blanches. À ce premier acte de résistance rhétorique viennent s'ajouter, outre des contributions d'artistes, des analyses portant sur l'histoire et la portée sociopolitique de plusieurs musiques : jazz, dancehall, dub poetry, gwoka, reggaetón, maloya ou encore rap.

Camion Blanc, Rozières-en-Haye, 2016, 518 pages, 32 euros.

Brigadistes !

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:22

À l'occasion du 80e anniversaire de la création des Brigades internationales, les Amis des combattants en Espagne républicaine (ACER) et les éditions du Caïman se sont associés afin de leur rendre hommage. Cet ouvrage hétéroclite rassemble des textes d'auteurs-compositeurs-interprètes (Cali, Serge Utgé-Royo) et d'écrivains (Didier Daeninckx, Patrick Bard, etc.), ainsi que deux bandes dessinées. Les nouvelles occupent la plus grande part, et certaines captent la forte particularité de l'héritage qu'ont laissé les brigadistes. On lira ainsi avec intérêt Patrick Fort (« Els ombres del coll dels Belistres »), Tomas Jimenez (« El comunero »), et Roger Martin (« Viva la quince Brigada ! »). On retiendra la confession du personnage de la nouvelle de Maurice Gouiran (« Le premier soir à Barcelone ») : « Je suis encore repu de cette soif de liberté, de ce fol espoir qui nous a unis et étreints durant ces heures-là. »

Éditions du Caïman - ACER, Saint-Étienne, 2016, 336 pages, 15 euros.

La bonne focale. De l'utilité des cas particuliers en sciences sociales

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:20

La « focale » qu'évoque le titre de cet essai est celle du raisonnement inductif en sciences sociales : à partir de plusieurs cas d'études, comment gagner en généralité par le biais de l'analogie ? Cette perspective est inspirée par l'étude comparative menée lors du second conflit mondial par Everett Hughes, sociologue à l'université de Chicago, sur les relations interethniques aux États-Unis dans le secteur de la production d'armements. Apparentée à la tradition d'enquête de terrain et d'étude des interactions individuelles propre à l'école de Chicago, l'approche inductive de Howard S. Becker permet d'en dépasser le cadre social et historique pour enrichir le corpus des sciences sociales de conclusions originales sur le fonctionnement des mondes de l'art, de la musique, de l'éducation ou… de la drogue. S'attachant aux paramètres particuliers afin de nuancer les lois générales, le sociologue ouvre la boîte noire des processus d'interaction pour y découvrir de nouvelles dimensions permettant la transposition, d'un cas à l'autre, des mécanismes régissant les interactions entre groupes sociaux.

La Découverte, coll. « Grands repères guides », Paris, 2016, 272 pages, 21 euros.

L'idée de confort, une anthologie. Du zazen au tourisme spatial

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:20

Comment l'humanité a-t-elle imaginé et mis en pratique les moyens d'améliorer son bien-être depuis les « peaux de biches et de lapins » disposées à l'entrée des cavernes à la fin de la grande glaciation de Würm ? Ce recueil propose près d'une trentaine de textes de diverses époques. Tomás Maldonado dénonce le rôle du confort dans « l'assujettissement du tissu social de la société capitaliste naissante » ; Jacques Pezeu-Massabuau se livre à un subtil et paradoxal « éloge de l'inconfort » ; Siegfried Giedion évoque l'héritage ascétique des moines du Moyen Âge. Gordon W. Hewes, Bernard Rudofsky et Joseph Rykwert s'intéressent, eux, aux habitudes posturales adoptées à travers le globe. La « quarantaine de centimètres » séparant ceux qui s'asseyent au sol et ceux qui utilisent des chaises, écrit Rudofsky, « ouvre sur des perspectives, au propre comme au figuré, très différentes ». Un sujet apparemment trivial, mais riche d'enseignements.

Éditions B42 - Centre national des arts plastiques, Paris, 2016, 272 pages, 25 euros.

Eichmann avant Jérusalem. La vie tranquille d'un génocidaire

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:19

Rapport sur la banalité du mal : ainsi la philosophe Hannah Arendt avait-elle sous-titré son Eichmann à Jérusalem, récit du procès (1961) et de l'exécution (1962) de l'organisateur du judéocide. Ce dernier lui apparaissait alors comme un médiocre fonctionnaire, un « assassin de bureau » qui se serait contenté d'obéir aux ordres génocidaires des dirigeants nazis. Cette interprétation, Bettina Stangneth la récuse, archives à l'appui. L'historienne et philosophe allemande a recherché et consulté l'ensemble des textes et des interviews d'Adolf Eichmann entre la fin de la seconde guerre mondiale et son enlèvement par le Mossad en 1960 en Argentine, notamment les mystérieux « papiers argentins » du nazi néerlandais Willem Sassen. S'y révèle un convaincu, parfaitement conscient et fier de ses crimes. Selon Dieter Wisliceny, « le sentiment d'avoir cinq millions de personnes sur la conscience était pour lui une satisfaction extraordinaire ». Soixante-dix ans plus tard, l'histoire du génocide nazi continue de s'écrire.

Calmann-Lévy, Paris, 2016, 672 pages, 26,90 euros.

Mis à jour le 6 février 2017.

Les Potentiels du temps. Art et politique.

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:19

Comment construire des futurs dans un temps marqué par « l'ivresse mélancolique » et « l'envoûtement négatif » ? Telle est la question posée par ce livre qui se veut une « contribution à la bataille qui s'engage ». Les auteurs défendent l'exercice d'une « pensée potentielle » permettant d'expérimenter des bifurcations dans le cours du temps, échappant au discours sur la fin de l'histoire comme à la fascination apocalyptique. On notera, parmi les modèles proposés, les expérimentations collectives à l'échelle 1:1, qui jouent ou rejouent des moments politiques de lutte, de procès ou de délibération. Ainsi de la « bataille d'Orgreave » de Jeremy Deller, qui reconstitue grandeur nature, en 2001, après un travail d'enquête, une journée de lutte des mineurs britanniques d'Orgreave, en juin 1984. Ou « Cleveland contre Wall Street », « procès de cinéma se substituant à un impossible procès de la crise des subprime  ». C'est dans l'espace de l'art que se trouverait ainsi abrité un « espace politique que la démocratie et la justice “actuelles” se montrent incapables de réaliser ».

Manuella, Paris, 2016, 296 pages, 19 euros.

Manifeste pour une géographie environnementale

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:18

On considère souvent la géographie comme une matière ennuyeuse, alors qu'elle s'intéresse aux enjeux les plus importants du XXIe siècle. Ce Manifeste réunit vingt-trois chercheurs qui s'efforcent de débarrasser leur discipline de son image vieillotte. Selon eux, celle-ci est due à des approches qui n'ont pas su se détacher d'une focalisation étroite sur le local, ni percevoir le caractère biaisé de ce que l'on appelle le développement durable. Le livre s'oppose ainsi aux géographes « climatosceptiques », sinon « écolosceptiques », qui jugent les lanceurs d'alerte « catastrophistes ». Composé de seize chapitres abordant des aspects théoriques et historiques, ainsi que d'études de cas dans les pays des Sud, il défend l'idée que la géographie de l'environnement doit prendre en compte la dimension fortement politique de ce sujet, a fortiori dans le contexte contemporain des débats sur l'anthropocène. Un ouvrage qui devrait faire date, comme La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre, d'Yves Lacoste, il y a quarante ans.

Presses de Sciences Po, Paris, 2016, 440 pages, 25 euros.

La Trompette du Jugement dernier

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:18

En Allemagne, après la mort de Georg Friedrich Hegel (1831), conservateurs chrétiens et jeunes hégéliens républicains se déchirent. Les premiers occupent les rares hauts postes universitaires ; les seconds sont des « intellectuels précaires » en colère. Bruno Bauer, théologien passé à l'athéisme militant, propose à son jeune ami Karl Marx (23 ans) de jeter avec lui un pavé dans la mare : ce sera cette Trompette du Jugement dernier, pamphlet très drôle publié en 1841 sous couvert d'anonymat. La philosophie de Hegel y est violemment dénoncée comme athée, antiallemande et révolutionnaire par de prétendus chrétiens fidèles à la lettre de la Bible. La farce sera prise au sérieux et applaudie par les journaux conservateurs, avant sa rapide interdiction. Les marxologues ont ignoré ou nié la part de Marx dans cet ouvrage traditionnellement attribué au seul Bauer. Nicolas Dessaux mène une enquête minutieuse et reconnaît sa patte stylistique aussi bien qu'intellectuelle dans plusieurs chapitres. Il repère, en particulier, un concept majeur du Marx de la maturité : le fétichisme.

L'Échappée, Paris, 2016, 400 pages, 22 euros.

L'Âge des démagogues. Entretiens avec Chris Hedges

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:18

Dans cette série d'entretiens réalisés avant l'élection de M. Donald Trump à la présidence des États-Unis, l'ancien correspondant de guerre du New York Times Chris Hedges fustige les élites de droite comme de gauche, asservies au « pouvoir de la grande entreprise ». Ses analyses, celles d'un lauréat du prix Pulitzer opposé à l'intervention militaire américaine de 2003 en Irak et mis à l'écart par les grands médias, révèlent en creux ce qu'un système, celui de l'« État-entreprise », entend occulter : ces accords de libre-échange contractés en dehors de tous les étais démocratiques, comme le partenariat transpacifique, relèvent du business. Hedges rappelle le concept — défini par le philosophe Sheldon Wolin — de « totalitarisme inversé », c'est-à-dire issu non d'un parti fasciste mais « d'organisations privées, économiques, qui investissent leur argent dans le champ public, achètent les élus, modifient la Constitution et rendent en fin de compte les citoyens impuissants ». Premières victimes : les lanceurs d'alerte comme M. Edward Snowden, contre qui le gouvernement de M. Barack Obama fit durement campagne.

Lux, Montréal, 2016, 128 pages, 12 euros.

Pourquoi je suis athée

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:17

L'indépendantiste indien Bhagat Singh (1907-1931) est condamné à mort après avoir, avec ses camarades, abattu un policier britannique et lancé une bombe non létale à l'intérieur de l'Assemblée en avril 1929. Parmi ses notes de prison, une dizaine de pages devenues célèbres retracent son cheminement vers l'athéisme. Issu d'une famille sikhe croyante, Singh s'oppose au mariage que lui arrangent ses parents. Au contact de groupes clandestins, il devient marxiste, rejette la stratégie non violente du très pieux Mohandas Karamchand Gandhi. Cela, combiné à quelques lectures anarchistes, le conduit à abandonner toute idée de croyance religieuse. Il refuse surtout le « conte de fées » de la réincarnation. Une seule voie dès lors : consacrer sa vie à la lutte pour la liberté. Fustigeant l'« alliance morbide » entre les autorités religieuses et les colons, Singh n'oublie pas d'attaquer l'ordre édicté par les prêtres brahmanes.

Éditions de l'Asymétrie, Toulouse, 2016, 120 pages, 10 euros.

Sortir de l'imposture sécuritaire

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/02/2017 - 18:17

Magistrat, Vincent Sizaire démonte ici le « sécuritarisme », héritier de l'autoritarisme bonapartiste, qu'il qualifie d'« imposture ». « L'inflation normative sans précédent à laquelle nous avons assisté ces vingt-cinq dernières années » constitue selon lui un « formidable aveu d'impuissance ». En effet, le droit pénal ne devrait présenter qu'un caractère subsidiaire : l'option répressive ne devrait intervenir que « si les autres formes de régulation s'avèrent manifestement insuffisantes à faire cesser l'atteinte à la cohésion sociale ». Et, au lieu de se focaliser sur la délinquance visible, il conviendrait de s'attaquer à ce qui porte directement atteinte à nos fondements démocratiques : la délinquance invisible, « la criminalité organisée et la délinquance financière qui ne sont que les deux faces de la même pièce ». Sizaire dénonce également la très faible diffusion de la connaissance juridique, en particulier à l'école.

La Dispute, Paris, 2016, 136 pages, 13 euros.

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