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Guy Verhofstadt a tenté un coup de poker hasardeux et a perdu. Le président du groupe libéral (ALDE) du Parlement européen risque même d’y laisser son caleçon. Il faut dire qu’il a placé la barre très haut en tentant de débaucher le sulfureux Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo, un parti italien démagogique et europhobe, afin de faire de son groupe le troisième par ordre d’importance de l’hémicycle et ainsi de se placer en pôle position pour ravir, le 17 janvier, le perchoir, jusqu’ici occupé par le socialiste allemand Martin Schulz. Une opération qui a lamentablement capoté lundi soir, environ la moitié de son groupe, l’un des plus fédéralistes du Parlement, refusant de le suivre dans cette aventure difficilement compréhensible.
C’est ce week-end que Beppe Grillo, partisan d’un référendum sur la sortie de l’euro, a annoncé sur son blog qu’il voulait que ses 17 eurodéputés quittent le ghetto de l’EFDD (Europe of freedom and direct democracy), le groupe europhobe de Nigel Farage, le fondateur du UKIP et vainqueur du référendum sur le Brexit : marginal (44 députés sur 751), il ne joue pas plus de rôle au sein de l’hémicycle que celui de Marine Le Pen et Geert Wilders, l’Europe des nations et des libertés (39 membres)., l’« Les récents développements européens, comme le Brexit, nous conduisent à repenser la nature du groupe EFDD. Avec le succès extraordinaire du « leave »UKIP a atteint son objectif politique », estime Grillo : « Farage a déjà abandonné le leadership de son parti et les eurodéputés anglais abandonneront le Parlement européen » à partir de juin 2019. En clair, l’EFDD est condamné à terme et le M5S risque de se retrouver sur le banc des non-inscrits, sauf à siéger avec Marine Le Pen, ce dont il ne veut pas.
D’autant que Grillo veut s’acheter une respectabilité européenne en prévision d’élections législatives anticipées qu’il compte bien emporter à la suite de l’échec référendaire de Matteo Renzi. Quoi de mieux, dès lors, que de rejoindre les libéraux, actuel quatrième groupe du Parlement (68 membres) et d’en faire ainsi le troisième, derrière les conservateurs du PPE (217) et les socialistes (189) et devant les eurosceptiques de l’ECR (74 membres dont 26 conservateurs britanniques) ? Fidèle à sa conception toute particulière de la démocratie, Grillo a immédiatement lancé une consultation sur internet, sans débat préalable, qui s’est clôturé lundi midi par un vote positif de 78,5 % des sympathisants du M5S ayant pris part au vote.
Les libéraux européens, eux, ont été sidérés de découvrir une affaire que Verhofstadt a négociée dans le plus grand secret. Comme l’analyse un membre de l’ADLE, « il pensait amener Grillo a renoncé à son référendum sur la sortie de l’euro, ce qui n’était pas totalement idiot ». D’autant que la grande majorité des députés du M5S ne sont absolument pas europhobes et que des convergences fortes avec les libéraux se sont créées sur les questions économiques et sur les libertés publiques : « en gros, le M5S vote très souvent comme nous ». Ce qui est exact, mais pas tout à fait: en réalité, les députés du M5S votent le plus souvent comme la... gauche radicale de la GUE. Verhofstadt espérait aussi renforcer ses chances de succéder à Martin Schulz à la présidence du Parlement. En effet, le jeu s’est ouvert depuis que les socialistes et les libéraux ont annoncé qu’ils ne respecteraient pas l’accord signé en juillet 2014 avec les conservateurs qui prévoyait que le perchoir reviendrait au PPE en seconde partie de législature… Ils considèrent, en effet, qu’avec la présidence du Conseil européen et de la Commission, le PPE est déjà bien servi.
Même si les Verts ont auparavant tenté la même manœuvre, séduits par l’europhilie des élus du M5S, Verhofstadt a totalement sous-estimé l’aspect symbolique d’un tel ralliement alors que son groupe n’a de cesse de dénoncer le « populisme » en Europe… Lundi après-midi, la levée de boucliers a été telle dans son groupe (30 députés sur 68, dont le Modem français, mais aussi les Suédois, les libéraux allemands, etc., soit une minorité de blocage étaient opposés à ce deal) qu’il a dû battre en retraite. « Je suis arrivé à la conclusion qu’il n’existe pas de garanties suffisantes pour conclure un programme commun en vue de réformer l’Europe », a-t-il piteusement reconnu lundi soir. « De fait, Beppe Grillo a refusé tout net de se rallier à l’euro », raconte une source interne du groupe ADLE. Personne ne comprend comment Verhofstadt a pu se lancer dans un tel cavalier seul, surtout avec un Beppe Grillo connu pour ses foucades. D’ailleurs, ultime bras d’honneur du clown italien, celui-ci a renouvelé ses voeux de mariage avec Nigel Farage. Autant dire que les chances de l’ancien premier ministre belge d’accéder au perchoir sont désormais quasiment réduites à néant. Well done !
N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 10 janvier.
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