Dans la continuité des sommets européens sur la politique migratoire européenne, le 3 février dernier a eu lieu une réunion informelle des chefs d’État et de gouvernements des États membres de l’Union européenne à La Valette (Malte). Cette rencontre avait pour principaux objectifs la gestion des flux migratoires empruntant la route de la Méditerranée centrale et la mise en place de mesures concrètes pour éviter les départs depuis le continent africain, notamment depuis la Libye.
La présidence maltaise du Conseil de l’Union européenne a décidé de mettre les questions relatives à la migration, notamment celle en provenance d’Afrique, au cœur de ses préoccupations. Ainsi, accueillir le sommet européen à La Valette n’est pas un choix anodin puisque Malte, à la tête de la présidence du Conseil de l’Union européenne, est aussi l’un des principaux pays d’accès au continent européen (avec l’Italie) des migrants et réfugiés empruntant la route de la Méditerranée centrale.
Pour les migrants et réfugiés originaires d’Afrique, la principale voie d’accès à l’Europe, aujourd’hui, est, en effet, celle de la Méditerranée centrale. La Libye est à ce jour le pays de prédilection de ces hommes et de ces femmes pour atteindre le vieux continent. Ainsi, en 2016, plus de 181 000 personnes ont emprunté cette route pour gagner l’Europe et sur ces 181 000 personnes, 90% sont parties de Libye.
Les arrivées irrégulières dans l’Union européenne, 2015-2016
Suite à l’augmentation d’arrivées irrégulières en partance de Libye mais aussi à la réduction draconienne des flux migratoires en provenance de la Méditerranée orientale notamment due à l’accord entre l’Union européenne et la Turquie de mars 2015 (réduction de près des deux tiers des arrivées par rapport à 2015), les États membres ont eu la volonté de s’attaquer à une autre crise migratoire : celle provenant du continent africain et plus particulièrement de Libye.
Le résultat de cette réunion fut l’adoption d’une déclaration par laquelle les États membres de l’Union ont réitéré leur volonté et la nécessité de mettre en place des mesures concrètes face aux arrivées massives de migrants et réfugiés sur le sol européen qui devraient s’intensifier dans les mois à venir. Ainsi, pour les pays membres, il est primordial de mettre en place une coopération efficace avec à la fois les pays de départ des migrants et réfugiés, mais aussi avec leurs pays d’origine et de transit.
« Nous sommes déterminés à prendre des mesures supplémentaires pour réduire considérablement les flux de migrants le long de la route de la Méditerranée centrale (…). Nous intensifierons l’action que nous menons avec la Libye, qui est le principal pays de départ, ainsi qu’avec ses voisins d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne ».
La coopération Union européenne – Afrique : une longue histoireCette déclaration revient sur les différentes politiques déjà mises en place par l’Union européenne avec certains pays africains. En effet, depuis longtemps, l’Union est désireuse d’établir un lien étroit avec ces pays voisins, notamment dans le domaine de l’immigration.
Si les prémices d’une coopération entre l’Union européenne et une partie de l’Afrique apparaissent dès 1957 dans le cadre du Traité de Rome, c’est à partir de 1963, avec la première Convention de Yaoundé, que cette relation s’est inscrit dans une démarche véritablement « contractuelle » à la suite de l’accession à l’indépendance des pays africains francophones. Ultérieurement, la coopération a franchi un pas décisif avec la Convention de Lomé signée en 1975 : élargis notamment à l’Afrique anglophone. Les liens entre le continent africain et une Communauté incorporant désormais le Royaume-Uni se sont établis sur la base de nouveaux domaines et modalités de coopération, complété par la suite par trois autres conventions signées successivement elles aussi à Lomé, la dernière ayant été révisée à Maurice en 1995. Remplacé par l’accord de Cotonou, ce n’est qu’à partir de 2000, avec la signature et la ratification de cet accord que les questions migratoires sont arrivées sur la table des négociations. Les différentes parties signataires se sont accordées sur l’importance d’agir dans les pays d’origine et de transit ainsi que sur la mise en place d’une politique de retour des migrants et réfugiés afin de combattre l’immigration illégale.
Par la suite, différents programmes ont été adoptés tels que le plan d’action de La Valette de 2015 ou encore le cadre de partenariat pour la migration de 2016.
En effet, en 2015, un plan d’action a été mis en œuvre suite au sommet de La Valette sur la migration qui réunissait les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Union ainsi que ceux d’Afrique. Les États membres de l’Union et les États africains présents ont voulu inscrire dans le marbre leur volonté de créer une plus vaste coopération, comme le précise, par exemple, le Premier ministre maltais, Joseph Muscat, en indiquant que le travail en amont avec certains pays africains est primordial. Ce sommet a été marqué par l’intention des parties de lutter contre l’immigration illégale, le trafic de migrants, et a également mis l’accent sur l’immigration légale, les politiques de retour ainsi que la protection des migrants et des demandeurs d’asile.
Dans cette même lignée, les États présents à ce sommet ont pris la décision d’établir un fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique, doté d’une enveloppe de 1,8 milliards d’euros. Ce mécanisme financier permet, dans le domaine du développement et de la coopération, de donner une réponse rapide et efficace à des situations d’urgence comme celles qui touchent les migrants et les réfugiés. En effet, ce fonds a pour vocation de stabiliser les régions traversées par les migrants qui sont généralement assujetties à de grandes instabilités politiques et sont souvent des zones conflits. Il permet de contribuer à l’économie et au développement local.
Depuis juin 2016, un nouveau cadre de partenariat pour la migration a été institué. Il a pour but de créer une coopération accrue entre les pays tiers d’origine et de transit d’une part et l’Union européenne d’autre part, grâce à une aide diplomatique, technique ou financière. Ce partenariat a pour objectif concret de sauver des vies en mer, d’accroître le nombre de retours, ainsi que de soutenir, à long terme, les pays tiers dans leur développement afin de permettre aux migrants et réfugiés de rester dans leur pays d’origine. La création de ce partenariat relève d’une volonté européenne de garder le contrôle sur la gestion des flux migratoires et sur ses frontières. Ainsi, comme le rappelle M. Franz Timmermans, premier vice-président de la Commission : « pour mettre fin à l’inacceptable perte de vies humaines en mer Méditerranée et mettre de l’ordre dans les flux migratoires, nous nous devons de repenser la manière dont l’Union et ses États membres unissent leurs efforts pour coopérer avec les pays tiers ».
Dans leur déclaration de La Valette du 3 février 2017, les États membres ont mis en avant les bienfaits de cette coopération préexistante : « Le cadre de partenariat et le plan d’action de La Valette ont permis d’approfondir notre coopération à long terme avec un certain nombre de pays partenaires, y compris en ce qui concerne les causes profondes des migrations, grâce à un partenariat solide fondé sur la confiance mutuelle ».
L’élaboration d’une coopération privilégiée avec la Libye.En tant que principale voie d’accès au continent européen, il semble en effet, primordial de mettre en place ou du moins de renforcer la coopération entre l’Union européenne et la Libye.
Des États membres comme l’Allemagne par exemple, la Commission européenne ainsi que la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Frederica Mogherini, ont souhaité opter pour une stratégie différente de celle concernant l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Malgré l’ambition du Premier ministre maltais, Joseph Muscat, d’élaborer un accord tel que celui signé en mars dernier, cette solution n’a pas été retenue du fait, d’une part, de l’instabilité politique existante à l’heure actuelle en Libye et, d’autre part, de son incapacité à opérer un véritable contrôle de ses propres frontières. Par conséquent, le choix d’une coopération semble plus approprié dans un premier temps pour résoudre les problèmes dus à l’immigration illégale.
Cette déclaration tend à donner la priorité à différentes actions afin de réduire les flux migratoires en provenance de ce pays. En effet, l’Union européenne entend compléter les opérations déjà mises en place, notamment l’Opération Sophia (opération chargée de lutter contre les passeurs en Méditerranée centrale) en apportant une aide aux garde-côtes libyens et en leur proposant une formation plus à même pour répondre aux enjeux de la région, stopper les trafiquants et sauver des vies en mer. Sans aucun doute, cette contribution aurait pour but de déléguer à plus ou moins long terme la prise en charge des migrants et réfugiés en mer et de renforcer le contrôle de la frontière maritime libyenne aux garde-côtes libyens. De plus, elle tend à mettre fin « au modèle économique des passeurs » en renforçant la coopération avec la Libye et les pays traversés par les migrants et réfugiés. Dans ce cadre, les États membres se sont mis d’accord pour aider les communautés locales libyennes à se développer économiquement afin d’accueillir dans de meilleures conditions les réfugiés et les migrants. Enfin, ils prévoient de soutenir l’action menée par l’organisation mondiale pour la migration et l’agence des Nations Unies pour les réfugiés.
Sans se limiter à la Libye, les États membres sont conscients que, par cette coopération et ces mesures entreprises, les passeurs auront vocation à emprunter de nouvelles voies maritimes pour conduire les migrants et les réfugiés en Europe. De ce fait, cette coopération ne se limite pas uniquement à l’État libyen, mais cherche à s’étendre aux pays limitrophes, tels que la Tunisie, et ce, notamment, dans le cadre du partenariat.
Sans aller jusqu’à l’adoption d’un accord entre l’UE et la Libye, les États européens souhaitent, comme le rappelle notamment Donald Tusk en tant que président du Conseil européen, établir des accords bilatéraux permettant de répondre à des difficultés plus faciles à résoudre à deux qu’à vingt-huit. Dans ce cadre, le 2 février dernier, le gouvernement italien et le gouvernement d’union nationale de Libye se sont réunis afin de signer un mémorandum d’accord. Celui-ci s’inscrit dans le cadre d’une coopération afin de lutter contre le trafic illégal de migrants et de s’engager dans la stabilité et le développement de l’État libyen.
Une politique migratoire coopérative « à sens unique » ?Suite à ce sommet et à cette déclaration, se pose, dès lors, la question des conséquences des mesures adoptées pour les migrants et les réfugiés empruntant la route sinueuse de la Méditerranée centrale.
En effet, même si l’Union européenne cherche à mettre en place une aide dans ces zones particulièrement compliquées, la région reste empreinte de conflits et d’instabilités politiques. Les risques qu’encourent les migrants et réfugiés désireux d’atteindre le continent européen demeurent donc bien réels.
Suite au printemps arabe et au renversement du régime de Kadhafi mettant fin à une dictature de plus de 40 ans, la Libye est depuis en pleine tempête politique. Différents groupes représentant plusieurs mouvances s’opposent. Depuis peu, le gouvernement d’union nationale dirigé par le Premier ministre Fayez el-Sarraj et soutenu par la communauté internationale essaye tant bien que mal de créer une unité dans ce pays divisé.
Ces tensions politiques en Libye ne se sont pas amoindries ces derniers temps avec l’arrivée du groupe terroriste « État islamique » sur le territoire. La fermeture des frontières européennes laisse planer une interrogation quant à l’avenir de ses migrants et réfugiés rapatriés sur le sol libyen après avoir essayé d’atteindre l’Europe. Ainsi, cette dernière peut-elle fermer les yeux, jusqu’à la réalisation des mesures concrètes mises en place dans la déclaration concernant les conditions de vie des migrants et réfugiés en Libye ? De nombreuses questions comme celles-ci restent en suspens.
Amnesty International s’est inquiété de la fermeture de la route de la Méditerranée centrale. En effet, cette organisation non gouvernementale se soucie du sort réservé aux migrants et réfugiés concernant notamment leurs conditions de détention et les atteintes possibles aux droits de l’homme.
La directrice du Bureau d’Amnesty International auprès des institutions européennes, Iverna McGowan, a précisé que la fermeture de la route de la Méditerranée centrale pourrait avoir d’importantes conséquences sur la vie de ces migrants et réfugiés. Elle a également souligné que cette fermeture reflète un manque d’anticipation de la part des États membres de l’Union quant aux conséquences à venir de cette politique migratoire :
« Des dizaines de milliers de personnes se retrouveront alors bloquées dans un pays ravagé par le conflit, exposées au risque d’être torturées et exploitées. Il ne s’agit là que de la manifestation la plus récente, mais peut-être la plus honteuse, de la politique des dirigeants européens qui tournent le dos aux réfugiés ».
Elle s’insurge à la fois contre les conditions de détention des migrants et des réfugiés en Libye qui ne respecte en rien les valeurs portées par l’Europe et de l’absence de mesures ou même de garanties concernant la protection des droits fondamentaux en Libye.
« L’absence de mesures concrètes de réinstallation ou de protection pour ces personnes qui sont prises au piège dans un pays où le non-droit est quasiment la règle est révélatrice des mauvaises intentions qui sous-tendent cette proposition cynique ».
En plus des conséquences humaines, des conséquences économiques et politiques pourraient être à déplorer. En effet, les réfugiés et les migrants ne traversent pas uniquement la Libye pour atteindre le vieux continent, ils passent aussi par de nombreux autres pays avant d’atteindre les côtes libyennes. Ces flux migratoires engendrent une énorme source de profit pour les régions, souvent pauvres, qui sont traversées. Dès lors, si les flux migratoires en direction de l’Union européenne se réduisaient drastiquement, qu’adviendra-t-il de ces régions qui en tirent profit ? Même si l’Union a prévu une coopération humanitaire en plus d’une coopération financière, celle-ci semblerait moindre par rapport aux bénéfices occasionnés suite à l’arrivée des migrants et des réfugiés.
Cette déclaration semble n’être qu’une déclaration d’ordre politique et, comme le précise le Premier ministre maltais, Joseph Muscat, elle ne représente qu’une première étape pour résoudre les problèmes liés aux flux migratoires en provenance de Libye. Celle-ci marque principalement la capacité et la volonté des États européens à coopérer dans le domaine de la politique migratoire.
Alice Poidevin
Pour aller plus loin, principales sources d’information :
http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/02/03-malta-declaration/
http://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/european-council/2017/02/03-informal-meeting/
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/libye/presentation-de-la-libye/
http://info.arte.tv/fr/daech-refugies-gouvernement-dunion-nationale-ou-en-est-la-libye
https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/malta-migration-summit_feb2017.pdf
https://www.letemps.ch/monde/2017/02/02/migrations-leurope-cherche-verrouiller-mediterranee
REUTERS/Alkis Konstantinidis
La Grèce, ce sont « les feux de l’amour » de la zone euro : des épisodes, dont on a perdu depuis longtemps le compte, des personnages à foison, des rebondissements, des trahisons et des passions qui se répètent à l’infini, mais parviennent à tenir en haleine les peuples, les Etats, les marchés. Les mêmes questions, depuis 2010, toujours : la Grèce va-t-elle faire faillite ? Le Grexit est-il au bout du printemps ? Faut-il restructurer la dette grecque ? L’austérité est-elle le seul avenir des Grecs? Depuis sept ans, la zone euro est engluée dans cette crise dont personne ne voit l’issue et dont le coût politique, pour l’idée européenne elle-même, est de plus en plus élevé.
Autant dire que la zone euro n’a pas fini d’expier son erreur, celle d’avoir admis la Grèce en 2001 dans l’Union économique et monétaire, alors que la Commission, la Banque centrale européenne et les États savaient parfaitement que ce pays n’était absolument pas prêt : État défaillant, comptes publics truqués, corruption endémique, dépense publique financée par l’emprunt, fraude fiscale généralisée, économie digne d’un pays sortant du communisme (un secteur public non compétitif et disproportionné par rapport à la taille du pays), etc.. Mais comment dire non au pays de Platon ? En 2004, première alerte : le gouvernement reconnaît que le déficit a été divisé par deux depuis 2000, ce qui était admettre implicitement que la Grèce avait menti pour se qualifier. Si la zone euro avait réagi à l’époque, la catastrophe aurait peut-être été évitée. Mais comme en 2000, elle a préféré fermer les yeux. Jusqu’en 2009, lorsqu’à nouveau Athènes avoue que le déficit n’est pas de 6 %, mais de plus de 15 %, c’est-à-dire que ce pays de 11 millions d’habitants dépensait 36,3 milliards d’euros de plus qu’il ne gagnait. En pleine crise économique et financière mondiale, les marchés ont paniqué et le coût de la dette grecque s’est envolé.
« Pour éviter une faillite brutale à l’argentine ou à l’ukrainienne, les Européens ont prêté de l’argent à la Grèce à condition qu’elle coupe dans ses dépenses publiques pour qu’elles correspondent à son train de vie réel et fasse des réformes structurelles pour que son économie devienne fonctionnelle », explique-t-on à la Commission. Il s’agissait aussi d’éviter une contagion de la crise grecque aux banques de la zone euro, notamment allemandes et françaises qui détenaient beaucoup de dettes grecques : si les États avaient laissé la Grèce sombrer, il aurait fallu les sauver, ce qui aurait coûté un pont aux contribuables européens.
Mais la zone euro et le FMI ont mis longtemps à comprendre la gravité de la situation grecque : réformes mal calibrées et peu appliquées, coupes brutales dans le budget de l’Etat (la Grèce va devoir faire sa quatrième réforme des retraites en sept ans), sous-estimation des effets récessifs des réformes demandées ont abouti à faire perdre à la Grèce 27 % de son PIB depuis 2010 sans que la machine redémarre. La comparaison avec l’Irlande, le Portugal, Chypre et l’Espagne (pour ses banques), tombés dans la panique générale qui s’est alors emparée des marchés, est terrible : tous sont sortis des programmes d’aide au bout de trois ans et vont mieux alors que la Grèce, elle, en est à son troisième programme. A Bruxelles, on se veut optimiste et on estime que son économie est désormais à peu près en ordre de marche et qu’elle pourrait connaître une forte croissance, ce que la Commission prévoit pour 2017 et 2018 : « mais les impondérables internes et externes sont tels que nos prévisions n’ont jamais été justes pour ce pays », tempère un haut fonctionnaire.
Ses partenaires croisent donc les doigts pour qu’elle réussisse son retour sur les marchés en juillet 2018, un retour qu’elle a loupé en janvier 2015 avec l’élection de Syriza qui voulait « casser la vaisselle ». Mais, en supposant qu’elle arrive à se refinancer normalement, elle ne sera pas sortie d’affaire, vu le montant de sa dette publique : 180 % du PIB, les trois quarts étant détenues par la zone euro (via des prêts bilatéraux des États et le Mécanisme européen de stabilité) ainsi que par le FMI. Soit un montant de 320 milliards d’euros prêtés par les Européens. Même si le paiement des intérêts ne commencera pas avant 2023 et que les prêts consentis par la zone euro ont une durée de 30 ans (donc jusqu’en 2042-2048), cela contraint la Grèce a dégager un excédent budgétaire intenable sur le long terme pour pouvoir rembourser (3,5 % du PIB, hors charge de la dette à partir de 2018).
Les potions amères administrées, pour l’instant en pure perte, à la Grèce alimentent l’euroscepticisme dans l’Union, la Commission en est consciente. Pierre Moscovici, le commissaire chargé des affaires économiques et financières, le 15 février à Athènes, demande donc à ce que la zone euro permette au « peuple grec de voir la lumière au bout du tunnel ». Mais comment ? Le redémarrage économique du pays ne dépend que de lui, ce qui permettra de faire baisser le ratio de la dette, ce qui enclencherait un « cercle vertueux » à condition que l’Etat grec continue à vivre chichement.
Une autre solution serait de restructurer la dette afin de diminuer nettement l’excédent primaire budgétaire exigé des Grecs, ce qui redonnerait de l’air à l’Etat. En clair, les Etats européens prendraient leurs pertes comme les banques et assurances l’ont fait en 2011-2012, lorsqu’elles ont laissé sur le carreau 115 milliards d’euros… Après tout, ce sont eux qui ont admis la Grèce dans l’euro en 2001 alors qu’ils savaient qu’elle n’était pas prête et ont fermé les yeux sur ses dérives, notamment en 2004 lorsque le gouvernement grec a reconnu avoir truqué ses comptes publics entre 2001 et 2004… François Hollande a d’ailleurs plaidé pour « un allègement du fardeau de la dette », le 12 décembre.
Mais allègement ne veut pas dire effacement : il s’agit surtout d’étaler encore davantage les remboursements, pas d’inscrire par pertes et profits la dette grecque : « cela coûterait cher : par exemple, la France devrait éponger 22 % des prêts du MES… », souligne-t-on à Bruxelles. « En réalité, personne ne veut restructurer la dette grecque, mais tout le monde laisse l’Allemagne jouer le bad cop », poursuit cette même source. De fait, les populistes sont gagnants à tous les coups : « soit la zone euro est inhumaine, soit elle fait payer les citoyens français ou allemands pour les Grecs », soupire un haut fonctionnaire de la Commission. En Allemagne, en particulier, le sujet est explosif à la veille des élections de septembre : « même Martin Schulz, le candidat social-démocrate ne propose pas une restructuration, car il sait que sa base ne le suivrait pas », s’amuse-t-on dans l’entourage du ministère des Finances. D’où la dureté de Wolfgang Schäuble qui estime qu’une restructuration obligerait la Grèce à « quitter l’Union » puisqu’« aucun pays membre de l’Union monétaire ne peut être responsable pour les dettes d’autres pays ». Surtout, ajoute-t-on à Berlin, « qu’est-ce qui nous garantit que la Grèce ne va recommencer à s’endetter si on efface sa dette ? Et pourquoi les autres pays ne nous demanderaient-ils pas la même chose ? » Autrement dit, la zone euro est dans un piège. Quoi qu’elle fasse, elle prend un risque politique et les démagogues gagnent à tous les coups.
N.B.: version longue de mon article paru dans Libé du 20 février