(B2) La situation de José-Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission européenne, continue de faire des remous à Bruxelles. Le Portugais était passé, en 2016, juste après la fin de la période de latence, avec armes et bagages chez le banquier Goldman Sachs. Le tumulte créé par ce passage qui s’apparentait à une trahison de l’idéal européen avait donné lieu à l’époque à un avis, embarrassé, du comité d’éthique maison. Aucune règle n’avait été violé, c’était plutôt l’attitude morale de l’ancien président qui avait été réprouvée (lire : José-Manuel Barroso se paie une pantoufle en diamant aux dépens de l’Europe).
Un engagement à ne pas faire du lobbying
« Je n’ai pas été engagé pour faire du lobbying pour le compte de Goldman Sachs et je n’en ai pas l’intention », avait ainsi indiqué l’intéressé, à l’époque, dans un courrier au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Un engagement dont le comité d’éthique avait pris acte. « L’engagement de M. Barroso de ne pas exercer de lobbying au nom de Goldman Sachs répond au devoir d’intégrité et de discrétion imposés par le traité. ».
Une demande de Barroso lui-même
« La réunion répond à une demande de M. Barroso lui-même et a été convenue par téléphone avec mon cabinet » indique Jyrki Katainen dans une lettre adressée aux ONG (Alter-EU et Corporate Europe Observatory CEO) militant pour plus de transparence dans les institutions européennes. Elle s’est « déroulée à l’Hotel Silken Berlaymont », qui se trouve à deux pas de la Commission (1). Cette discussion portait « principalement sur le commerce et la défense ».
Sans témoin, sans note, sans document
« Nous étions tous les deux, sans autre participant à cette rencontre » a assuré . Aucun document malheureusement ne vient confirmer les dires du commissaire. « Je ne prends pas de notes habituellement dans ce type de réunion. Et je ne l’ai pas fait non plus dans cette réunion. Pour ces raisons, il n’y a pas de documents concernant cet évènement ».
Un suivi ‘religieux’ de la légalité
Ce rendez-vous a bien lieu le 25 octobre — a confirmé ce mardi (20 février), — le porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas, lors du point presse quotidien ». Pour le porte-parole, il n’y a pas de problème. « Vingt-quatre heures après ce rendez-vous, le vice-président Jyrki Katainen a publié cette rencontre selon la procédure », dans le registre de transparence de l’UE. « La légalité a été suivie. » Il a « suivi religieusement les paramètres de légalité qui s’appliquent ».
Une plainte des ONG
Les ONG regroupées au sein Alter-EU, une coalition d’ONG spécialisées dans la lutte anti-corruption, a introduit une plainte au secrétaire général de la Commission, Alexander Italianer (2). « L’organisme devrait cette fois-ci mener une enquête plus approfondie sur le rôle de M. Barroso auprès de Goldman Sachs et évaluer si l’ancien président a induit le président Juncker en erreur », soulignent-ils (télécharger la lettre de plainte).
Des circonstances bien troublantes
Commentaire : Les circonstances de la rencontre, discrète, dans un hôtel au voisinage, sans prise de note, sans témoin, sont pour le moins extraordinaires. Vu la personnalité de l’ancien président et la polémique entourant son arrivée vers Goldman Sachs, la moindre des prudences aurait été d’avoir un tiers présent, d’enregistrer tous les éléments pour dissiper tous les doutes possibles. La thèse du « circulez, il n’y a pas de problème » défendue par la Commission Juncker aurait alors pu être crédible. En l’espèce, elle parait bien fragile. Quant aux thèmes envisagés, « principalement » le commerce et la défense, on ne peut considérer qu’il s’agit d’une simple demande de renseignement (3).
Toutes les données sur ce sujet sont normalement publiques. On est donc bel et bien dans le cadre d’une demande d’intérêt privé pour peser sur les affaires publiques. Se réfugier derrière une pseudo-légalité est donc très délicat. On est dans un questionnement d’abord politique. Pourquoi était-il si important pour Barroso de voir Katainen et vice-versa. La Commission Juncker aurait tout intérêt à faire la lumière rapidement sur cette affaire.
(Nicolas Gros-Verheyde, avec AFP pour certains éléments)
(1) Un lieu bien pratique, puisqu’il se situe à quelques dizaines de mètres de la Commission, et permet de ne pas avoir à recevoir J.-M. Barroso dans les locaux du Berlaymont. La discrétion voulue a, apparemment, été éventée.
(2) Alexander Italianer est, lui-même, un ancien du cabinet Barroso. Il a été aussi secrétaire général adjoint de la Commission de 2006 à 2010 (durant le mandat de J.-M. Barroso en charge de la « Better regulation » (autrement dit le travail de dérégulation), un des sujets préférés de l’ex-président.
(3) On sait combien aujourd’hui la question d’accès des pays tiers aux futurs programme de défense sont un enjeu crucial pour tous les pays tiers ou futurs tiers — comme le Royaume-Uni ou les États-Unis. La récente polémique lors de la réunion des ministres de la Défense de l’OTAN l’a prouvé.