Le groupe d'études géopolitiques (GEG) est un cercle de réflexion issu de la rue d'Ulm et résolument pro-européen, mâtiné de beaucoup de culture (je n'ose dire qu'il est élitiste). Adossé à un site, le Grand continent, Il envoie chaque fin de semaine une petite lettre qui est souvent intéressante. La dernière (voir ici) m'a toutefois chagriné. Elle publie en effet la lettre d'un intellectuel italien, Alberto Alemanno, professeur titulaire de la chaire Jean Monnet en droit et politiques publiques européennes à HEC Paris, qui réagissait à un discours récent d'un autre intellectuel, américain celui-là, Tymothy Snyder.
Ce dernier, dans un discours prononcé à Vienne le 9 mai dernier, dénonçait "l'un des malentendus les plus prégnants du débat européen : bien plus qu'une union d'États-nations épuisés par des siècles d'affrontement intestins, l'Europe est née de l'effondrement des empires européens. Loin d'avoir précédé l'Europe, l'État-nation est une construction européenne". A. Alemanno réagissait à ce discours dans un long texte publié par GEG.
Or, ce texte me laisse perplexe. Je ne dois pas être très intelligent ni assez cultivé ni possédant assez de connaissances historiques. Mais quand je lis : " Cela signifierait-t-il que c'est l'Union européenne qui a créé l'État-nation européen et non l'inverse ? – C’était ce que je me demandais. C'était pourtant vrai – je le concédais.", j'avoue ne pas comprendre, et encore moins suivre le raisonnement qui me semble spécieux.
L'Union Européenne, juridiquement, date de 1992. Si on remonte à la construction juridique européenne, on va au choix en 1957 (Rome) ou 1951 (CECA). Les États-nations préexistent depuis longtemps, que ce soit en réalité ou même sous la forme d'un accord juridique (le système westphalien). Il me semble donc qu'il y a une antériorité historique d'une forme sur l'autre.
Il reste alors la question de la concurrence entre la forme impériale et la forme étatique : là, pour le coup, on peut tout à fait observer une concomitance historique, sachant que les derniers empires en Europe prennent fin principalement avec la fin de la 1GM et au-delà avec celle de la 2GM (Reich voir URSS). Quant aux empires coloniaux, ils disparaissent concomitamment avec la construction européenne.
Du coup, on pourrait presque émettre l'hypothèse suivante, à rebours de tout ce qui est dit dans votre texte : l'UE est un processus impérial d'un genre nouveau, qui vient renouveler la vieille concurrence entre l’État-nation et l'empire, ce dernier étant traditionnellement construit atour d'une base nationale, ce qui n'est pas le cas dans le cas européen.
Bref, je reste très peu convaincu par le texte du jour.
On se reportera à ce texte de l'an dernier, "Territoire et empire", qui s'interrogeait déjà sur la notion d'empire. Texte que j'avais prévu de compléter par un développement sur l'UE, justement. Signe que cette interrogation demeure pertinente...
O. Kempf
Vous le savez peut-être, je suis chercheur associé à la FRS. Dans le cadre d'un séminaire tenu l'autre jour à Paris, à l'occasion du 70ème anniversaire de l'OTAN, on m'a demandé quelques mots sur l'avenir de l'OTAN. J'aurais certes pu reprendre ce que j'ai déjà écrit et qui est assez pessimiste (par exemple ici). Je me suis essayé à quelque chose de plus ouvert, sinon optimiste. Vous avez le résultat ci-dessous, en français (et bien sûr en anglais).
As you may know, I am an associate researcher at the FRS. At a seminar held the other day in Paris, on the occasion of NATO's 70th anniversary, I was asked to write a few words about the future of NATO. I could certainly have taken what I have already written and which is rather pessimistic (for instance here). I tried something more open, if not optimistic. You have the result below, in French (and of course in English)
Après soixante-dix ans, l’Alliance s’interroge sur son avenir. Certes, l’environnement international est marqué par la montée des risques et la fin de l’ordre mondial auquel nous étions habitués. Mais justement, si la montée des risques devrait favoriser l’OTAN, la remise en cause de l‘ordre mondial la touche également. Voici donc l’Alliance soumise à des mouvements contradictoires.
Ce n’est pas faute de vouloir s’adapter : depuis la fin de la Guerre froide en effet, l’Alliance a passé son temps à se transformer, au point d’ériger cette fonction en commandement stratégique à Norfolk. De même, elle a créé au siège une division des défis de sécurité émergents, qui s’occupent des nouvelles questions : terrorisme, sécurité énergétique, cyber, etc… Enfin, la montée des tensions (et la pression américaine, qui avait d’ailleurs précédé l’arrivée de D. Trump au pouvoir) a suscité une prise de conscience, celle d’accroitre les moyens consacrés à la défense : ce fut l’engagement du sommet de Galles, celui des 2% de PIB consacrés au budget de défense. Les alliés européens s’y dirigent doucement.
Insuffisamment aux yeux du nouveau président américain. Voici en fait une course entre l’impatience budgétaire de ce dernier, qui menace ouvertement de quitter l’Alliance, et le « partage du fardeau », ce qui dans son esprit signifie l’achat croissant de matériels américains. Aux dépens de l’Union européenne. Cela soulève un autre problème : l’Alliance doit conjuguer ce défi stratégique à un autre, celui de l’autonomie européenne. En effet, le raidissement américain suscite une prise de conscience chez nombre d’Européens qui pousse certains à promouvoir une défense européenne. Nous voici revenus au tournant des années 2000, lorsqu’on discutait de la non-duplication. Cette montée en puissance permettrait de soutenir l’autonomie stratégique européenne. Il faudrait alors mieux articuler les deux bras armés, Alliance d’un côté, Défense européenne de l’autre. Est-ce seulement possible, surtout si l’autonomie européenne est conçue par certains comme un moyen de résister à la pression américaine, alors que l’Alliance consiste justement à maintenir les Américains dans la sécurité stratégique européenne ? Le premier objectif de l’alliance reste bien de « keep the Americans in », comme le constatait le premier secrétaire général, lord Ismay.
Pour autant, on peut rester optimiste car ces questions se posent finalement depuis des décennies : le thème du partage du fardeau a émergé dans les années 1960 et l question de l’autonomie européenne depuis les années 1990. Quant au président Donald Trump, chacun commence à décoder ses manières de négociation, toujours brutales, portant très haut les enchères, pour finalement arriver à des deals.
Dans ce cas : Nihil nove sub soli.
After seventy years, the Alliance is wondering about its future. Admittedly, the international environment is marked by rising risks and the end of the world order to which we were accustomed. But precisely, if the rise in risks should favour NATO, the questioning of the world order also affects it. So the Alliance is subject to contradictory movements.
It is not for lack of willingness to adapt: since the end of the Cold War, indeed, the Alliance has spent its time transforming itself, to the point of establishing this function as a strategic command in Norfolk. Similarly, it has created at NATO HQ a division for emerging security challenges, which deals with new issues: terrorism, energy security, cyber, etc. Finally, the rise of tensions (together with American pressure, which preceded the arrival of D. Trump in power) has raised the awareness of the necessity to increase the resources devoted to defence: this was the commitment of the Wales’ summit, that of the 2% of GDP devoted to the defence budget. The European allies are moving slowly towards it.
Insufficient in the eyes of the new American president. Here is actually a race between the latter's budgetary impatience, which openly threatens to leave the Alliance, and "burden sharing", which in his mind means the increasing purchase of American equipment. At the expense of the European Union. This raises another problem: the Alliance must combine this strategic challenge with another one, that of European autonomy. Indeed, the American stiffening is raising awareness among many Europeans, which is pushing some to promote a European defence. We are back at the beginning of the 2000s, when we were discussing non-duplication. This increase in power would make it possible to support European strategic autonomy. It would then be necessary to better articulate the two armed arms, Alliance on one side and European Defence on the other. Is this only possible, especially if European autonomy is conceived by some as a means of resisting American pressure, whereas the Alliance consists precisely in keeping Americans in European strategic security? The first objective of the alliance remains to "keep the Americans in", as noted by the first Secretary General, Lord Ismay.
Nevertheless, we can remain optimistic because these questions have finally been raised for decades: the theme of burden sharing emerged in the 1960s and the question of European autonomy since the 1990s. As for President Donald Trump, everyone is beginning to decode his ways of negotiating, always brutal, raising the stakes very high, to finally reach deals.
In this case: Nihil nove sub soli.
Olivier Kempf
SCAF : Future Combat Air System
Tag: SCALFJe reste attaché à Lefranc, série mineure de Jacques Martin mais qui a été reprise par plusieurs auteurs. Elle est moins réputée que les Blake et Mortimer alors pourtant que la période est la même. DIsons qu'il s'agit là d'une ambiance française, avec moins de tweed mais plus de voitures de sports, et qu'on est plus proche de l'environnement historique quand B&M sont plus distants. Enfin, Lefranc touche plus à l'espionnage quand B&M s'inspire plus de la science fiction.
Évoquons tout de suite les points faibles : un exposé verbeux au cours des trois premières pages, une intrigue un peu poussive et pas très convaincante (Lefranc qui devient un auxiliaire de la CIA pour une opération d'infiltration montée en trois jours) : autrement dit, le scénario peine à convaincre, Corteggiani nous avait habitué à plus de soin. Après, montrer l'alliance spatiale entre la Russie et la Corée du Nord au milieu des années 1950 est quelque chose d'intéressant.... à défaut d'être crédible.
Il reste le dessin qui est très bien troussé, avec un Lefranc qui vieillit : on avait un jeune trentenaire, on sent qu'il est désormais quadra.... J'ai beaucoup apprécié la peine page du site de la fusée, qui rappelle évidemment Objectif lune.
Car voici au fond le grand bonheur de cette BD : ses nombreuses citations de Hergé (Objectif Lune mais aussi L'affaire Tournesol), Blake et Mortimer, voire Buck Danny pour les paysages d'avions dans la jungle.
Autrement dit, ce n'est pas une extraordinaire réussite mais un album plaisant, plus pour les dessins et les citations que pour l'histoire.
Lune rouge (Lefranc, chez Casterman)
O. Kempf