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Diplomacy & Crisis News

Le dilemme stratégique de Barack Obama

Publié dans Le Monde  du 19 août 2014
De la Syrie à Gaza en passant par l'Ukraine ou l'Irak, deux dilemmes classiques agitent la communauté internationale et font hésiter les politiques étrangères. Le premier porte sur la compatibilité entre les intérêts et les principes : faut-il agir dans une situation où la morale l'exige, mais dans laquelle le coût prévisible de l'action risque d'être trop élevé pour l'intérêt national réel ? Le second porte sur les moyens à mettre en œuvre pour faire triompher ses intérêts : l'usage de la force est-il toujours le meilleur moyen de s'imposer, ou bien cet instrument est-il devenu, dans le monde globalisé des années 2010, hautement contre-productif ?Face à ces deux questions, l'approche conservatrice, qui maintient sa croyance en la puissance dure au service de l'intérêt des Etats dans un monde régi par la confrontation, répond par l'interventionnisme militaire comme démonstration de puissance et de crédibilité à destination des alliés comme des adversaires. Une approche plus moderne et libérale mise davantage sur l'effet contraignant d'un système global, où la coopération et les intérêts partagés en bonne intelligence par la société mondiale forment un carcan normatif auxquels tous les acteurs devront bien finir par se plier.
« RAJOUTER LA GUERRE À LA GUERRE »
Dans la première perspective, l'intervention est presque toujours la solution. Dans la seconde, elle ne fait que « rajouter la guerre à la guerre », pour reprendre une rhétorique mitterrandienne. Vieille question de théorie des relations internationales, à ceci près que le défenseur le plus audacieux de la seconde approche est aujourd'hui le président des Etats-Unis, que cette posture lui vaut d'être cloué au pilori, et que le résultat de son pari pourrait réserver des surprises.Fallait-il intervenir en Syrie contre le régime de Bashar Al-Assad en 2013 ou même avant ? Faut-il une riposte massive à la politique russe en Ukraine, y compris si celle-ci doit intégrer la possibilité d'un volet militaire ? Faut-il un réengagement militaire massif en Irak pour arrêter le « calife » Abou Bakr Al-Baghdadi ? A ces trois questions, Barack Obama répond non, au nom d'une conviction exprimée à plusieurs reprises selon laquelle l'action militaire n'est plus la solution aux crises du monde actuel.Ce non fut tardif et brutal en Syrie, immédiat en Ukraine, plus difficile à maintenir en Irak : procédant finalement à des frappes conte l'Etat islamique depuis le 7 août, Washington souligne systématiquement néanmoins que ces frappes sont destinées à protéger des Américains, qu'elles ont par ailleurs des raisons humanitaires et que les Etats-Unis ne peuvent résoudre tous les problèmes du monde en y intervenant chaque fois.
CONTORSIONS D'UNE COMMUNICATION HÉSITANTE
Cette posture, brouillée par les contorsions d'une communication parfois hésitante et des revirements, comporte au moins trois défauts.D'abord, elle passe dans le débat américain pour un aveu de faiblesse, et contribue à la « cartérisation » du président par un Parti républicain prompt à l'accuser d'avoir perdu le Moyen-Orient, la Crimée, l'Asie, et à peu près tout le reste.Ensuite, elle inquiète et mécontente certains alliés de Washington, qui se mettent à douter de la crédibilité de la garantie américaine en cas de problème pour eux-mêmes ou considèrent les réflexions trop subtiles de M. Obama comme l'annonce d'autant de trahisons pures et simples.Elle a enfin le tort d'être minoritaire dans un monde où le fait accompli semble demeurer une valeur sûre, où la course aux armements reste de mise, où la détermination affichée des alliances continue de payer, et où le désengagement coûte cher.Pour autant, le pari de M. Obama est loin d'être stupide. En premier lieu parce que le bilan récent de l'usage international de la force est désastreux. Les Etats-Unis le savent mieux que quiconque après les expériences irakienne et afghane.Israël, qui continue de miser sur l'intervention armée, n'est ressorti ni réellement victorieux, ni plus sécurisé, ni renforcé de ses opérations au Liban en 2006, à Gaza en 2008-2009, et ne fera sans doute pas mieux au sortir de la crise de l'été. Le coût politique de l'opération de Crimée et de la situation dans l'est ukrainien, pour la Russie de Vladimir Poutine, pourrait s'avérer très lourd.Les démonstrations réussies de l'outil militaire, dans les temps récents, sont à vrai dire plutôt rares et obéissent à quelques règles difficiles à réunir : elles doivent être pointues, proportionnées, limitées dans le temps, légitimées par les Nations unies, et en mesure de passer le relais à l'action multilatérale : à ce titre l'opération française « Serval » au Mali fait figure de cas d'école, mais ne sera pas reproductible tous les jours, et encore moins par n'importe quelle puissance.Surtout, le monde ne répond plus aux règles d'un jeu à somme nulle où ce qui était gagné par un joueur était perdu pour ses adversaires. A M. Poutine qui veut démontrer la supériorité du fait accompli en prenant la Crimée, M. Obama répond : « Nous vous isolerons », excluant d'emblée une surenchère militaire et jouant le long terme.
LA CARTE DE LA PUISSANCE STRUCTURELLE CONTRE LA PUISSANCE BRUTE
Plutôt que d'opter pour la démonstration de force – bien incertaine – le pari du président américain est autre, consistant à prouver que nul ne peut se permettre le coût politique ni économique de ce type de comportement dans le monde de 2014. Il joue ainsi la carte de la puissance structurelle contre la puissance brute, et oppose à l'usage de la force la contrainte de règles internationales protéiformes, qui se jouent sur des terrains aussi variés que la sécurité, le commerce, l'investissement, l'image…Barack Obama a probablement raison de croire que la prudence et l'évitement des erreurs sont bien une politique étrangère en soi, là ou d'autres veulent improviser des grands desseins au mépris des complexités du terrain.Pour que sa politique paye, il faudra d'abord au président américain quelques résultats visibles obtenus par une politique de soft power (non violente) et de pression progressive : une désescalade en Ukraine et un assouplissement de la position russe à mesure que les sanctions contre Moscou se renforceront, seraient pour lui salvateurs.Il devra ensuite compenser les mécontentements de certains alliés exigeants par le renforcement de nouvelles structures de solidarité autour de la garantie de sécurité américaine, notamment en Europe et en Asie.Il faudrait enfin (Irak et Afghanistan), qu'un usage parcimonieux et maîtrisé de la force et de la présence militaire, couplé à la mise et œuvre de nouveaux pactes politiques initiés par les Etats-Unis, se montre rapidement productif, par comparaison avec le « tout militaire » de l'absurde « chaos créateur » des néoconservateurs dans les années 2000. Alors seulement, la démonstration sera faite que le hard power (usage de la force) à l'état pur n'est plus de mise, et que le système de l'après-guerre froide, jusque-là introuvable, entrerait enfin dans sa phase de consolidation.
Dans le cas inverse, le bilan de l'action de Barack Obama suscitera d'abord un redoutable retour de balancier aux Etats-Unis, puis le triomphe de la politique de la force ailleurs. Et les règles brutales classiques des relations internationales reprendront leurs droits.

L’inexorable progression de l’Etat islamique au Proche-Orient

Géopolitique des conflits (Blog) - Wed, 06/08/2014 - 13:02
Jusqu’où ira l’Etat islamique qui a proclamé fin juin un « califat » à cheval sur l’Irak et la Syrie? Les djihadistes ont attaqué ce week-end des positions tenues par les forces kurdes en Irak. Ils détiennent une bonne partie de la … Lire la suite →

Beyond Copenhagen

Foreign Affairs - Thu, 31/07/2014 - 18:03
Thanks to a newly proposed pollution rule, the United States is finally on its way toward meeting its Copenhagen emission reduction commitments. The move comes at the perfect time: At the end of next year, global leaders will convene in Paris to conclude the next major round of climate negotiations.

Ariel Colonomos, La politique des oracles. Raconter le futur aujourd’hui


 Ariel Colonomos, La politique des oracles. Raconter le futur aujourd’hui, Albin Michel, Paris, 2014Retrouvez les autres notes de lecture dans la Lettre de l'IRSEM n°5-2014
On demande (trop ?) souvent aux savants de prédire le futur pour le compte des décideurs. Au point que le futur est devenu un marché et donc une compétition. Prédire l’avenir avec force est aussi une façon de le déterminer (et donc une manipulation). Le futur est désormais un récit en soi, voir loin est un devoir, mais voir juste reste un luxe. Etudes de cas à l’appui, Ariel Colonomos nous livre une sociologie des oracles, de leurs pythies et de leurs commanditaires, depuis le temps des superstitions jusqu’à celui des think tanks. Pour des raisons évidentes, cela intéresse directement la réflexion stratégique, elle-même sujette aux « scénarios », à la « prospective », aux « anticipations ». L’auteur avait d’ailleurs organisé un colloque au CERI en 2012, soutenu entre autres par l’IRSEM, sur ce thème (Predictions for International Security: The Knowledge Practice Enigma).
Qui sont les experts de la futurologie ? A. Colonomos en dresse quelques portraits ici, comme ceux d’Alvin Toffler, d’herman Kahn, ou en France de Bertrand de Jouvenel. Doit-on privilégier, pour reprendre la distinction d’Isaiah Berlin, l’expertise des hérissons (qui ne voient le monde qu’à travers quelques règles et spécialités), ou celle des renards (généralistes qui à l’inverse refusent les schémas monographiques et les idées simples) ? Si la domination des hérissons, selon l’auteur, semble forte dans le monde anglo-saxon, il se pourrait bien que les renards l’emportent en France (selon nous…). Pourquoi ce besoin d’anticiper l’avenir ? A cause des tensions internationales qui inquiètent et exigent de savoir comment s’y préparer ? Parce que le modèle économique libéral y pousse ? Et avec quels instruments ? Simulations, indicateurs ou « rapports d’experts » (le Global Trends  de la CIA est épinglé ici) ne sont jamais neutres, et construisent en partie, par leurs présupposés ou objectifs initiaux, les conclusions à venir. Ils ont leurs vedettes du moment et leurs modes (comme le « What if ? » de l‘histoire contrefactuelle, ou « que se serait-il passé si… ? [si l’histoire avait évolué autrement] ». ils ont leurs hantises : la linéarité (demain sera-t-il le prolongement d’aujourd’hui et donc d’hier ?), le couple rupture / continuité (assistons-nous à une rupture systémique ?), la spécificité d’une aire culturelle (cette région peut-elle s’analyser selon des lois internationales générales, ou dois-je avoir recours à ses seuls spécialistes ?), le risque pays (que risqué-je en y investissant ?), le développement (est-il économiquement porteur d’y investir encore ?), etc.
Les oracles ont aussi leur bilan, sur quelques grands tournants de l’histoire que presque personne, malgré les moyens déployés, n’avait su annoncer. La chute de l’URSS en constitue évidemment un exemple célèbre (p.108 et sqq.), dont Karl Deutsch avait été l’un des rares à déceler les signaux (Karl Deutsch, "Cracks in the Monolith: Possibilities and Patterns of Disintegration in Totalitarian Systems," in C.J. Friedrich, Totalitarianism, Harvard University Press, 1954). A partir de cette fin surprise de la guerre froide, l’auteur revient sur la sociologie du débat universitaire, sur la difficulté qu’il y a à exprimer publiquement la croyance en une rupture quand bien même on la voit venir, la difficulté à « oser se tromper », et à défier le « ralliement au pari de la majorité » (p.129). Si le cas soviétique montre la difficulté des généralistes des relations internationales à penser le changement de système, l’évolution du monde arabe illustre la difficulté des area studies à innover conceptuellement (R. Khalidi y avait annoncé en 1985 la fin des dictatures et en tout cas le sursis des élites, d’ici à dix ans). Le cas chinois, obsessionnel aujourd’hui et qui mobilise une grande partie des ressources investies dans les oracles modernes, souligne l’omniprésence, chez les décideurs, de la question de la confiance : « peut-on leur faire confiance ? ». la même question se posait sur Gorbatchev dans les années 1985. Dans ce marché de l’oracle, les think tanks fascinent. A. Colonomos en fait, là aussi, une sociologie passionnante, chiffres, cartes, données à l’appui, dans l’un des meilleurs passages de ce livre. Contrairement aux idées reçues qui peuvent circuler à cet égard en Europe, le think tank américain n’est pas cette structure souple, récente, moderne et adaptable : il est bien davantage marqué par la permanence (les plus grands think tanks américains sont nés dans la première moitié du XXe siècle et les nouveaux venus sont peu nombreux dans ce cercle fermé). Les think tankistes sont généralement des mâles baby-boomers (donc déjà âgés), issus des grandes universités proches de Washington, délivrant des analyses au nom du patriotisme et articulées autour de l’idée d’intérêt national.
plusieurs questions importantes ressortent de la lecture de ce livre. On peut d’abord se demander si les success stories  existent : des grands événements improbables ont-ils déjà été annoncés par des experts, et ceux-ci ont-ils été écoutés ? A. Colonomos évoque Peter Singer (Brookings Institution) dont  la thèse doctorale annonçait une tendance à la privatisation des armées. On pourrait aussi songer, en France, à Gilles Kepel luttant contre le scepticisme de l’université pour entamer finalement, grâce à Rémy Leveau, une thèse sur le mouvement islamiste égyptien qui assassinera Anouar el-Sadate quelques mois plus tard (thèse qui donnera l’ouvrage Le prophète et le Pharaonen 1984). Mais ont-ils été entendus en leur temps, ont-ils changé la politique menée ? on peut également s’étonner du fossé qui existe souvent entre d’une part l’exigence d’utilité sociale adressée à l’expert (« à quoi servez-vous si vous n’êtes pas capable de me dire avec précision ce qui arrivera ? »), et d’autre part la difficulté des commanditaires à organiser les canaux d’exploitation des expertises ainsi livrées : qui prend le temps de lire ou faire lire des travaux épais, qui prend le risque de consacrer un service à la lecture des travaux qui pourraient être utiles, ou d’aller à la rencontre de leurs auteurs ? La question centrale, toutefois, est posée par Ariel Colonomos lui-même en fin d’ouvrage : que faire, lorsqu’on l’entrevoit, pour éviter ce futur qui s’annonce, dans un monde où la préférence va à l’inaction, et où la prévision audacieuse se heurte à une régulation par la réputation ?

Y.H. Zoubir, L. Dris-Aït-Hamadouche, Global Security Watch – The Maghreb



Y.H. Zoubir, L. Dris-Aït-Hamadouche, Global Security Watch – The Maghreb, Praeger, Santa Barbara, 2013
North Africa remains much less studied (in the academic field) than the eastern part of the Middle-East (Egypt, Levant, Near East and the Gulf). This recent issue of the Global Security Watch series (see also former issues on Pakistan, Syria, Lebanon or Jordan) provides us with a timely and relevant introduction to the Maghreb (plus valuable bibliographies).
Starting with internal security dimensions, then addressing the collective security mechanisms (or their absence), the book depicts a region ridden with instability. The Moroccan-Algerian row over Western Sahara, the Libyan conundrum (under Qadhafi then because of his demise), and an increasing link with Sahel and Nigerian security challenges, undermine regional structures. Algeria’s complex game between Morocco and Libya, Morocco’s strong alliance with the U.S. and France, Tunisia’s efforts to survive in a troubled neighbourhood, the new presence of China, the ongoing presence of Russia (especially in Algeria), all account for new foreign policy puzzles. The encounter between transnational actors (such as AQIM, Boko Haram, or, in a different category, the Tuaregs) and national security forces (with much different traditions and relations to society, as chapter 1 by Cherif Driss remarkably illustrates), is also a key parameter to the future of the region.
A french reader might be surprised that France’s role is barely mentioned here. After decades of political presence in the Maghreb, a recent intervention in Mali (ongoing since 2013), and a newly reorganized military presence in West Africa, it might have deserved more. The book’s objective, though, was clearly to address the dynamics among Maghreb’s local actors. For they – and no one else – are the key to understand the great North African game.

Ch. Balssa, L’Australie et les relations internationales


Ch. Balssa, L’Australie et les relations internationales, Editions du Cygne, Paris, 2014
 
A signaler, ce petit livre qui récapitule l’équation stratégique australienne à l’heure d’un nouveau Livre Blanc (2013). Réinvention des liens avec les Etats-Unis à l’épreuve de l’avancée chinoise, correction d’une image d’arrogance (et d’une histoire pour le moins difficile avec les minorités indigènes), réinvestissement dans cette vaste zone insulaire qu’est le Pacifique Sud (comme lors de l’opération RAMSI sur les îles Salomon en 2003), crainte d’être pris dans un bras de fer sino-américain, une armée encore réduite (59.000 hommes en 2013), un effort pour renforcer les liens avec le Japon, l’Indonésie et l’Inde : tels sont quelques uns des paramètres de la posture stratégique du géant d’Océanie. Classée comme une puissance moyenne dans les typologies anglo-saxonnes, l’Australie, avec le Canada et quelques autres, fait partie de ces « émergents occidentaux » sur lesquels comptent de plus en plus les Etats-Unis, et desquels se rapproche la France (notamment par un partenariat stratégique en 2012).
 

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