La rédaction de Politique étrangère vous offre de (re)lire des textes qui ont marqué l’histoire de la revue. Nous vous proposons aujourd’hui un article de Jean-Marie Guéhenno, intitulé « Américanisation de l’Amérique ou mondialisation de l’Amérique ?», et publié dans le numéro 1/1999 de Politique étrangère.
Pierre Hassner observait récemment, dans un remarquable article où il passe en revue les différents ouvrages américains qui, depuis dix ans, ont fourni les références intellectuelles du débat international, que, « si les États-Unis peinent à transformer le monde selon leurs souhaits, ils sont sans rival aucun pour l’interpréter ».
Cette domination intellectuelle du débat international est comme la touche finale d’une hégémonie qui serait à la fois militaire, économique, technologique, médiatique, culturelle et sociétale. Le Pentagone, Wall Street, Microsoft, CNN, Hollywood et McDonald seraient les différentes facettes d’un triomphe américain si absolu qu’il a conduit Hubert Védrine, ministre français des Affaires étrangères, à inventer un mot nouveau : superpuissance ne suffit plus, les États-Unis sont désormais une « hyperpuissance ».
Pourtant, le paradoxe relevé par Pierre Hassner demeure : le monde s’américanise, mais le gouvernement américain a les plus grandes difficultés à faire prévaloir ses vues ; ses alliés comme ses adversaires se révèlent coriaces : Benyamin Nétanyahou, Keizo Obuchi aussi bien que Slobodan Milosevic ou Saddam Hussein regardent CNN et boivent peut-être du coca-cola, cela ne les conduit pas à se plier aux injonctions de Washington ; l’américanisation du monde ne signifie pas que la puissance américaine règne sans partage. D’autant que les résistances internes que le système américain offre à l’exercice de la puissance ne sont pas moins fortes : Gulliver apparaît souvent empêtré, prisonnier des contrepoids multiples du système politique américain, qui jouent d’autant plus efficacement que l’absence d’une grande menace extérieure rend plus difficile la définition d’un consensus bipartisan de politique étrangère, et moins populaires les engagements militaires extérieurs : le peuple américain accepte difficilement que ses soldats meurent pour des causes incertaines. Rien de moins impérial donc que cet empire démocratique, d’autant moins porté à regarder vers l’extérieur que cet « extérieur » lui apparaît souvent, et parfois non sans raison, comme une imitation de l’Amérique. Pourquoi s’intéresser à la copie quand on vit dans l’original ?
Tant de puissance mêlée à tant de faiblesse pose la question de la pérennité de la situation actuelle : l’apparent triomphe américain est- il durable, et vivons-nous, à 2 000 ans d’intervalle, les commencements d’un nouvel empire ? Ou traduit-il seulement un déséquilibre provisoire, un « moment unipolaire », conséquence de l’effondrement soudain de l’URSS, destiné à prendre fin quand, dans une vingtaine d’années, de nouvelles puissances — la Chine, l’Europe — se seront affirmées : bipolaire, puis unipolaire, le monde redeviendrait enfin multipolaire.
Comment aujourd’hui réfléchir sur la puissance américaine ? Si l’Amérique est désormais en nous, dans nos têtes, pouvons-nous encore prétendre être des observateurs extérieurs, et traiter la question comme une question de politique étrangère ? Réfléchir sur la nature de la puissance américaine, n’est-ce pas désormais réfléchir sur nous-mêmes, sur ce que nous sommes et sur ce que nous voulons être ? Et la politique « étrangère » des États-Unis, dès lors que le monde entier s’américanise, n’est-elle pas elle-même condamnée à devenir une simple extension de sa politique intérieure, plutôt que l’expression d’un intérêt national qui supposerait qu’il y ait, en face de l’Amérique, d’autres nations assurées de leur propre identité et jouant leur partie dans un jeu classique de puissances ? Le concept de système international a-t-il encore un sens ? La dénonciation américaine des
« Rogue States », des États criminels, ne traduit-elle pas cette disparition de la «politique étrangère», remplacée par une simple politique de maintien de l’ordre ? Et le fait qu’un président des États-Unis puisse sans dommage politique excessif décider unilatéralement de bombarder un pays souverain, sur une base juridique incertaine, alors même qu’une procédure de destitution est engagée contre lui, n’est-il pas une confirmation de l’extraordinaire suprématie de l’Amérique, de son indifférence au regard du monde ?
Pour répondre à ces questions, il faut tout d’abord analyser la signification de la mondialisation, pour les États-Unis et pour le reste du monde, afin d’en évaluer ensuite les implications politiques.
L’américanisation du mondeMondialisation et américanisation ne sont pas synonymes : la globalisation des marchés est autant le fait des épargnants japonais que des financiers américains, et il existe de nombreuses firmes multinationales qui ne sont pas américaines. Mais le rapprochement que beaucoup font entre les deux termes n’est pas sans fondement : la réaction positive que la mondialisation suscite chez la majorité des Américains — même s’il ne faut pas sous-estimer l’hostilité des syndicats qui craignent la concurrence des pays à bas salaire et réclament des barrières de protection — contraste avec l’inquiétude qu’elle provoque chez des millions d’hommes et de femmes, en Europe et dans le Tiers-Monde.
Ce décalage des attitudes traduit d’abord le sentiment — impérial — que les États-Unis sont au centre du processus : les régulations globales qui rendent la mondialisation possible continuent d’être assurées, pour une part essentielle, par des centres de décision situés en Amérique ; les normes financières — que l’on pense aux exigences de la Securities and Exchange Commission (SEC) ou aux ratings des agences de notation Moody’s et Standard & Poor’s —, juridiques, technologiques — où le succès de la norme européenne de téléphonie GSM constitue une exception notable —, sanitaires, sont pour la plupart marquées par la prépondérance américaine. Il n’y a donc pas, aux États-Unis, le sentiment de dépossession qui peut exister dans des pays subissant des normes élaborées sans leur participation. A contrario, quand par exception les Américains doivent se plier à une norme qui leur est étrangère, leur réaction est souvent très négative, et se compare alors aux réactions hostiles que la mondialisation suscite souvent dans d’autres pays. La facilité avec laquelle les Américains acceptent dans la plupart des cas la mondialisation reflète donc d’abord la satisfaction naturelle de la puissance : la mondialisation est légitime quand elle exprime la puissance américaine ; elle cesse de l’être quand elle prétend imposer à l’ordre juridique américain un ordre qui lui serait supérieur. Il est facile de voir dans cette apparente contradiction une marque de cynisme, et beaucoup d’adversaires de l’Amérique soulignent la brutalité avec laquelle, sûrs de leur bon droit — « self-righteous » —, les Américains défendent leurs positions dans les négociations internationales.
Le fait remarquable est que la plupart des Américains récusent l’idée d’une quelconque contradiction dans leur attitude et écartent avec vigueur l’accusation de cynisme. L’histoire particulière des États-Unis explique cette étrangeté : l’« exceptionnalisme » américain a été décrit par beaucoup d’observateurs et demeure un trait essentiel du caractère américain. Depuis les pèlerins du Mayflower cherchant la lumière sur la colline jusqu’aux « founding fathers », l’Amérique s’est construite et définie en réaction contre les compromis de la diplomatie de la vieille Europe, dans laquelle elle n’a vu que des compromissions. Se voulant et se pensant exemplaires, les États-Unis, sans en éprouver un quelconque embarras, se sont ainsi retrouvés dans le même camp que des dictatures qu’ils dénoncent, pour s’opposer en juillet 1998 à Rome à la création d’une Cour pénale internationale : la préservation de l’intégrité du système juridique pénal américain, meilleure garantie des droits de chaque citoyen américain, était bien préférable à la mise en place d’un système négocié et plus global. Ce choix ne traduit pas un désintérêt pour le reste du monde, ou un repli sur soi, mais la conviction que l’Amérique contribue plus efficacement au progrès du monde en préservant son exemplarité qu’en entrant dans des compromis nécessairement imparfaits.
Cette conviction explique la spécificité de l’attitude américaine à l’égard de la mondialisation : elle n’y voit pas d’abord l’expression de sa puissance, mais l’extension naturelle et légitime du modèle qu’elle constitue. La mondialisation est sans doute pour beaucoup d’Américains une « nouvelle frontière » qui, dans le monde de l’économie virtuelle, prolonge et répète à l’échelle planétaire ce que fut l’expérience américaine de la conquête progressive de son espace : elle est un processus naturel et pacifique — à peine perturbé par quelques Indiens récalcitrants —, alors même qu’elle est ressentie comme un choc frontal par des sociétés qui ont eu une autre histoire.
L’Amérique s’est construite par accretions successives, intégrant peu à peu son espace, économiquement et politiquement, au sein de frontières longtemps mouvantes : ce n’est pas le territoire qui était premier, mais la volonté des hommes qui le structuraient en
« s’incorporant » dans de nouveaux comtés qui se créaient au fur et à mesure du peuplement du continent.
Dans la culture politique américaine, l’individu est fondateur, et la société politique repose sur un contrat librement accepté par chacun ; toute communauté politique démocratique est une communauté de choix, et les États-Unis d’Amérique sont la « communauté de choix » par excellence, constamment renouvelée par tous ceux qui « choisissent » d’être américains. Cette primauté de l’individu explique qu’entre la démocratie politique et celle du marché, il n’y ait pas, du point de vue américain, rupture : l’une comme l’autre résultent de la combinaison des choix individuels ; chaque être humain, par son vote et par ses actes économiques, participe au marché des idées et des biens.
Dans une telle perspective, la mondialisation n’est rien d’autre que la possibilité offerte au reste de l’humanité de rejoindre la communauté en expansion continue des individus libres. On pense à ce film sud-africain Les dieux sont tombés sur la tête, dans lequel une bouteille de coca-cola tombée du ciel venait perturber l’ordre naturel des choses. Il ne devrait pourtant y avoir, dans la conception optimiste de la mondialisation partagée par la majorité des Américains, aucune perturbation : la pénétration des produits phares de la mondialisation dans un village reculé du Tiers-Monde est aujourd’hui la manifestation symbolique de son entrée dans la communauté mondiale du marché, comme jadis l’arrivée du chemin de fer dans un village du Far West marquait l’avancée de la « frontière » américaine.
Cette proximité entre l’expérience historique particulière des États- Unis et le phénomène contemporain de la mondialisation a des implications profondes : elle détermine l’avenir de la puissance américaine et pèse sur celui de ses relations avec le reste du monde. Elle éclaire les choix stratégiques qui se présentent aux partenaires des États-Unis.
La mondialisation, extension du modèle américainTout d’abord, la suprématie américaine — qui n’est pas, on y insiste et on y reviendra, celle du gouvernement américain – n’est pas un phénomène passager, lié à une configuration stratégique éphémère : elle exprime la « résonance » qui s’est établie entre l’expérience historique des États-Unis et celle de la mondialisation, cette résonance que constate Pierre Hassner, illustration de la phrase fameuse de Karl Marx qui ouvre l’article déjà cité : « Les idées dominantes d’une société sont les idées de sa classe dominante. Elles sont les idées de sa domination. »
On July 16, the State Department released the Draft Report of the Commission on Unalienable Rights. The report, as Walter Russell Mead notes, is “a thoughtful and carefully reasoned document that may serve as an important landmark.” Given the Commission’s charge, though, it should be titled “A Comprehensive Review of U.S. Human Rights Policy,” as this blogger requests in the public comment process.
In current policy practice, human rights policy is one among many fields of foreign policy. In contrast, the Declaration of Independence identifies the American people as “we” who hold to unalienable rights and governments dedicated to secure them. A policy skein is properly configured according to political mandates, choices made by the people. The Declaration’s truths, its creed, defines the nation and should shape the foundations of all U.S. policy.
Arguably the creed has filled that role, for long stretches only subliminally and too often in the breach, but has always held at least a latent influence. The Report acknowledges the creed’s deep current. Its first section is titled “The Distinctive American Rights Tradition,” and notes “Lincoln’s Return to the Declaration.” But the section’s title also reveals the limits to the Commission’s remit, which was to examine human rights policy. Human rights as a policy thread can reasonably take grounding from the full sweep of Enlightenment thought. The nation’s identity rests on the creed as voiced in the Declaration.
So the Commission’s Report looks at the Declaration as “an essential element” of a human rights tradition, not as the nation’s base of identity. It discusses traditions that formed the Declaration’s concepts, citing property and religion as central to rights, where the Declaration’s creed names neither. True, John Locke’s Second Treatise of Government cited “property;” Jefferson named a right to the pursuit of happiness. And yes, Locke saw liberty as necessary for true faith, but the Declaration refers to a “Creator” as the otherwise unnamed font of rights.
This distinction between unalienable rights as a tenet of national existence and human rights as a policy arena matters, though in a manner that remains subtle in current American discourse. Americans agree that rights are fundamental – Secretary Pompeo, in announcing the report’s release, cited as the first question for U.S. policy: “Are our foreign policy decisions rooted in our founding principles?” But human rights in today’s policy constellation make up one skein of a very large bundle of priorities, alongside national security, economic well-being, and many others.
The choices, the priorities assigned to the various policy skeins, are made through politics. Often those choices show up when one, like national security, provides the lens through which the others are assessed. Thus Secretary Pompeo says “our dedication to unalienable rights doesn’t mean we have the capacity to tackle all human rights violations everywhere and at all times.” A different voice might say “our dedication to national security can never guarantee perfect safety against every danger, so we may have to forego the nth degree of protection against the nth threat for …” some other policy priority.
The Declaration’s unalienable rights are not a matter of just another policy arena. The purpose of security is to secure those rights; prosperity is an auxiliary to allow them free rein; “human rights” refer to political and social practices. The Declaration’s creed forms America’s fundamental priority; it requires an art to synthesize the needs of security, prosperity, human rights and other demands, in a manner that best serves the unalienable rights.
Current policy discourse is not structured with this core at its core. It should be. The Declaration’s creed is the last common ground that partisanship and polarization cannot dissect for rhetorical usage. With the creed’s role reinforced as that bedrock of common American identity, policy making would be more amenable to effective compromise and less paralyzed by politicized intransigence.
To restructure public discourse is clearly beyond any commission’s possible remit, but the distinction between human rights policy and the fundamental role of the Declaration is important. Choices among policy threads are political, and today’s divisive discourse should not obscure the common ground of the nation’s founding. The Commission on Unalienable Rights was formed to examine a specific distinction in human rights policy, “between unalienable rights and ad hoc rights granted by governments.” But a broader distinction must be understood and maintained, between that particular policy debate and the Declaration’s creed as America’s first point of definition. Titling the final report as “A Comprehensive Review of U.S. Human Rights Policy” would help mark that distinction.
The Draft Report, Released July 16
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