Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2020). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Ahmed Iraqi, Géopolitique des investissements marocains en Afrique (L’Harmattan, 2020, 152 pages).
Ahmed Iraqi est professeur en relations économiques internationales à Tanger et président-fondateur du think tank CENTRIS (Centre de recherches internationales et stratégiques). Sa monographie analyse en détail l’ampleur et le profil des investissements directs marocains (IDM) en Afrique. Elle révèle la montée en puissance du Royaume et sa capacité croissante à concurrencer les entreprises multinationales sud-africaines. Une fois surmontées une certaine lourdeur de style et quelques maladresses de présentation, le lecteur découvrira une mine d’informations.
En fait, la percée marocaine a été préparée il y a près de vingt ans, à la suite de la montée sur le trône de Mohammed VI. Dans un premier temps, le souverain annule la dette des pays africains les moins avancés. Puis il libéralise les règles permettant aux entreprises marocaines de s’implanter à l’étranger. Du point de vue institutionnel, deux outils sont utilisés. D’une part, l’Agence marocaine de coopération internationale (AMCI) est chargée de la coopération culturelle, scientifique et technique avec l’Afrique. D’autre part, plusieurs entités sont mises en place en vue de favoriser l’expansion économique marocaine ; celles-ci ont été assez récemment fusionnées pour donner naissance à l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDIE).
L’activisme économique et commercial du régime chérifien se concrétise également par la signature de traités bilatéraux d’investissement (TBI). Entre 2004 et 2018, les deux tiers des TBI signés par le Maroc l’ont été avec des États africains. Le renforcement des liens diplomatiques a aussi été crucial, puisque l’auteur dénombre plus de 50 visites royales dans 29 pays africains en un peu plus de quinze ans. Ces différents facteurs ont dynamisé la pénétration des IDM sur le continent, ceux-ci représentant en moyenne 60 % de l’ensemble des IDM à l’étranger sur la période 2008-2015.
L’analyse de la répartition de ces investissements est très instructive. Les déterminants clés sont la proximité géographique, la francophonie et le culte sunnite malikite. Ils expliquent très largement la forte présence de filiales de groupes marocains en Afrique de l’Ouest. Les pays récipiendaires les plus importants demeurent le Sénégal et la Côte d’Ivoire. En revanche, les grandes entreprises marocaines sont quasiment absentes d’Afrique australe. Ahmed Iraqi souligne que Rabat maintient des relations d’affaires avec les États reconnaissant la République arabe sahraouie démocratique. Néanmoins, les principaux partenaires du Maroc, eux, ne la reconnaissent pas. L’étude sectorielle montre la puissance du secteur bancaire marocain, et l’effet d’entraînement qu’il exerce sur les autres secteurs d’activité, tels les télécommunications, le bâtiment, l’industrie pharmaceutique et l’agro-alimentaire. L’Office chérifien des phosphates a un profil particulier, du fait de son implantation en Afrique centrale et en Afrique de l’Est.
Ce livre est précieux, car il illustre remarquablement le développement des échanges Sud-Sud, soutenant l’idée que la globalisation a été bénéfique aux États émergents qui ont su privilégier le soft power et le commerce. On espère que l’auteur actualisera régulièrement ses travaux.
Norbert Gaillard
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Le 6 septembre dernier, Le Nouvel Esprit Public a consacré l’une de ses brèves à l’article de Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, publié dans le nouveau numéro de Politique étrangère (n° 3/2020) : « L’Europe, par-delà le COVID-19 ».
« Nous nous sommes souvent interrogés à ce micro sur les fondements idéologiques du macronisme, nous moquant parfois des tentatives de ses conseillers de le définir comme un progressisme. C’est pourquoi j’aimerais saluer l’excellent essai de Clément Beaune, le premier vraiment sérieux, où sont étudiées les bases de la politique européenne d’Emmanuel Macron. J’ai l’impression qu’il y a là ce pilier du macronisme que nous nous sommes évertués à chercher. Lisez-le, c’est un très long papier mais une excellente analyse de ce qui constitue l’exception de Macron. »
Relisez l’article de Clément Beaune ici.
Retrouvez le sommaire complet du numéro 3/2020 de Politique étrangère ici.
Le 9 septembre dernier, Jacques Munier a consacré son émission « Le Journal des Idées » sur France Culture à la situation en Biélorussie. Il y cite notamment Roman Kuzniar, auteur de l’article « Sur la Russie : penser européen », publié dans le numéro 1/2020 de Politique étrangère.
[…] Dans la dernière livraison de la revue Politique étrangère, Roman Kuzniar énonce les préalables à toute relation sérieuse de l’Union européenne avec la Russie. D’abord ne pas se cacher la nature véritable, en partie héritée de l’histoire, de la politique étrangère russe : un esprit néo-impérial et une logique visant à peser sur la situation globale en Europe, notamment par une guerre idéologique, « qu’elle emprunte la forme de cyber-attaques, de désinformation, ou de soutien des partis nationalistes hostiles à l’Europe unie ». Ensuite, et à raison même, maintenir un front européen uni pour contrer les tentatives de division induites par la multiplication des relations bilatérales. Il s’agit d’éviter que le Kremlin ne choisisse lui-même les termes du dialogue, écartant les questions gênantes sur les droits de l’homme ou la sécurité, en limitant les gains de l’Europe « à des contrats intéressant seulement certains pays ». […]
Lisez l’article de France Culture en entier ici.
Accédez à l’article de Roman Kuzniar sur Cairn ici.
Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2020). Gaylor Rabu propose une analyse de l’ouvrage de Bruno Tertrais, Le choc démographique (Odile Jacob, 2020, 256 pages).
Simple défi ou authentique révolution, crash ou explosion, véritable bombe ou – désormais – plus modérément choc, l’évolution démographique semble exposée aux travers des passions analytiques. Pour autant, Bruno Tertrais tient ici une plume sûre et plus mesurée que le choix éditorial de son titre ne le laisse présager. S’engager dans une démarche prospective relève du défi : si la démographie s’appuie sur des constantes statistiques, elle n’est pas déterministe – comme le rappelle l’auteur – mais probabiliste.
Cet ouvrage, tiré d’une monographie de 2018 de l’Institut Montaigne, est sans conteste à lire. D’une part il présente analyse synthétique, chiffrée et actualisée des enjeux politico-démographiques. D’autre part, le propos équilibré laisse le plus souvent place à une disputatio qui amène logiquement à des conclusions plus nuancées que les discours politiques et journalistiques. Sur le plan de la méthode, malgré des choix de données discutables (valeurs relatives créant un biais modérateur contre valeurs absolues à l’effet grossissant, enquêtes confrontées à des données statistiques brutes), le lecteur ne saurait reprocher à l’auteur d’avoir succombé à la facilité ou de mener une réflexion dépourvue de rigueur.
Le constat général est d’entrée formulé : vieillissement des pays occidentaux, urbanisation, accroissement rapide de la population africaine, mouvements migratoires et recomposition des populations. Puis l’auteur s’interroge sur un éventuel changement de hiérarchie des puissances. Observant le déclin européen, russe et à terme peut-être chinois, il souligne la fenêtre s’offrant à l’Inde, et reste prudent sur l’avantage comparatif américain. Rejetant le néo-malthusianisme et les crises environnementales qui pourraient en résulter, il avance des solutions possibles aux maux de la croissance démographique, bien que leur efficacité demeure insuffisamment étayée. L’incidence de ces évolutions sur l’« arc de crise » est jugée avec raison, même si le sujet n’est évoqué qu’en quelques pages.
La question migratoire demeure centrale dans l’étude. Les présupposés sont utilement démystifiés et les enjeux appréhendés sans coquetterie intellectuelle. En ressort notamment une réflexion judicieuse sur les rapports entre stocks et flux de populations. De même, la corrélation entre le rejet de l’immigration et la perception locale de ce qu’elle est au niveau national est passionnante : elle témoigne de la difficulté d’articuler le traitement statistique à vocation objective à la subjectivité des peuples. En revanche, quelques propositions mériteraient d’être approfondies. Comme souvent, les effets cumulatifs – y compris générationnels – des mouvements migratoires, suivis d’installations temporaires ou définitives, ne sont qu’effleurés. L’impact du droit du sol sous toutes ses formes n’est pas abordé alors qu’il est le premier vecteur des recompositions de population. Ainsi il est peu pertinent d’analyser séparément les politiques migratoires des États membres de l’Union européenne, dès lors que les traités et la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne promeuvent une conception extrêmement accueillante de la « citoyenneté » européenne et des droits qui en découlent.
Toutes les nuances de gris de la réalité ne ternissent pas la clarté de l’ouvrage de Bruno Tertrais. Elles conduisent au contraire à juger que les changements démographiques ne s’accompagnent pas systématiquement de progrès ou de désastres, mais produisent simultanément des effets positifs et négatifs.
Gaylor Rabu
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