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Diplomacy & Crisis News

Guerres hybrides et processus décisionnels incertains



Editorial de la Lettre de l'IRSEM n°8-2014
Le débat sur les guerres dites hybrides, relancé en 2014 par l’action russe dans l’est de l’Ukraine, n’est pas nouveau pour la littérature de relations internationales ou de war studies. Mais le plus frappant aujourd’hui est sans doute l’interconnexion entre ce « brouillard de la guerre », et le brouillard des processus décisionnels étatiques qui y participent. Une mise en abîme en trois temps confond aujourd’hui l’observateur : 1- les acteurs et logiques des situations de conflit contemporaines sont multiples, 2- elles échappent aux Etats qui croyaient pouvoir les instrumentaliser, d’autant que 3- ces Etats eux-mêmes n’ont pas de processus décisionnel clairement identifiable, au moins depuis l’extérieur.
Dans son ouvrage classique New and old Wars (Cambridge, 2012, 3d ed.), Mary Kaldor insiste sur les contradictions des conflits nouveaux : intégration ou exclusion des sociétés dans la globalisation, homogénéisation et diversification des pratiques, universalisation etlocalisme des revendications, coexistent en effet dans des situations héritées de la fin de la guerre froide. Les objectifs de ces conflits sont désormais politiques, identitaires et symboliques, plutôt que territoriaux ou idéologiques comme dans le passé. Ces guerres sont menées suivant des techniques héritées à la fois de la guérilla et de la contre-insurrection, ce qui fait leur complexité : c’est le contrôle politique d’un territoire et de sa population qui fait foi, plutôt que sa possession ; c’est la multiplicité des acteurs (paramilitaires, seigneurs de guerre, gangs, forces de police, mercenaires et fraction détachées d’armées régulières) qui prime, plutôt que la qualité organisationnelle d’une seule force officielle ; enfin c’est l’interconnexion de l’économie de guerre avec la société mondiale qui s’impose, y compris dans ses aspects informels (flux financiers issus des diasporas, « prélèvements » sur l’aide humanitaire, soutien de gouvernements voisins, mais aussi trafics d’armes, de produits ou d’êtres humains, drogue…).
Franck Hoffman (Conflict in the XXIst Century: The Rise of Hybrid Wars, 2011) a également théorisé ce concept de guerre hybride, insistant davantage sur la rencontre entre ses dimensions publique et privées, étatiques et non étatiques, formelles et informelles. Qu’on invoque encore le « degenerate warfare » (Martin Shaw), les « vestiges » de la guerre (John Mueller) ou la guerre « post-moderne » (Chris Hables Gray), le phénomène est connu, et la phase 1 de notre problème (multiplication des acteurs et des logiques dans les conflits) est donc plutôt bien identifiée, sinon résolue, par la littérature consacrée. 
Mais une question essentielle demeure : ces logiques concurrentes que l’on peut observer, ces acteurs multiples qui interagissent, sont-ils mis en musique par des stratégies cohérentes ? C’est bien la question du pilote dans l’avion, du deus ex machina, de la manipulation ou au contraire de l’autonomisation de cette diversité, qui est posée. Pour être plus clair encore : la Russie de Vladimir Poutine a-t-elle une chance de maîtriser les acteurs et processus aujourd’hui déchaînés en Ukraine ? L’Iran domptera-t-il éternellement le levier Hezbollah, ou d’autres encore, au Proche-Orient ? Le Pakistan peut-il impunément instrumentaliser les Talibans et les confiner au seul théâtre afghan ? Ce dernier exemple augure déjà d’une réponse sceptique.Là encore, les travaux sur les processus décisionnels comparés en matière d’action extérieure sont assez étoffés pour que l’on sache, depuis longtemps, que les multiples obstacles à une maîtrise parfaite de dynamiques aussi piégées rendent l’affaire quasiment impossible. Il y a toute chance qu’entre les biais de perception des décideurs (R. Jervis, Perceptions and misperceptions in international Politics, 1976), les affres bureaucratiques (compétition entre acteurs, conseillers, ministères, bureaux…) ou les perversités des modes opérationnels choisis (du leader solitaire qui perd de sa lucidité, au groupthink qui dégage des propositions consensuelles mais politiquement impraticables – voir A. Mintz, K. DeRouen, Understanding foreign policy decision making, 2010), l’Etat qui tenterait de manipuler le conflit hybride finisse par s’y perdre, et par faire sombrer la stabilité régionale voire internationale dans l’illusion de ses calculs.
Il se trouve, qui plus est, que les acteurs étatiques soupçonnés aujourd’hui de se livrer à un tel aventurisme sont souvent les plus opaques et les plus rétifs au décryptage. Laissons de côté l’étrange Corée du Nord, pour ne retenir que les trois acteurs déjà mentionnés (Iran, Pakistan ou même Russie). Sur ce dernier cas, les analyses actuelles des plus fins connaisseurs du sujet infirment largement le mythe d’un Poutine joueur d’échec implacable aux multiples coups d’avance, pour privilégier la double piste d’un cercle décisionnel de plus en plus restreint (on retrouverait alors le schéma de l’isolement et de la perte de lucidité dans la crispation autoritaire), et de tensions entre plusieurs types d’acteurs (acteurs économiques, de la sécurité au sens large – ou siloviki, les différents cercles proches du Kremlin…). Ce serait alors le risque de perte de contrôle plutôt que celui du « génie du mal », qui rendrait les guerres hybrides – celle d’Ukraine en l’occurrence – plus dangereuses encore (sur le cas russe, voir entre autres les articles réguliers de Jeffrey Mankoff ou Andrei Tsygankov, respectivement auteurs de Russian Foreign Policy: The Return of Great Power Politics, 2011, et Russia's Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, 2013).
Retenons de ces différents travaux l’hypothèse suivante : les guerres dites hybrides sont en partie incontrôlables du fait que la complexité des facteurs qui président à la conflictualité aujourd’hui n’est pas maîtrisable par ceux qui gardent pourtant l’illusion de la maîtriser, tentant de jouer sur des subtilités stratégiques ou sociologiques qui finiront en réalité par s’autonomiser. Dès lors, préviennent plusieurs auteurs, sanctionner la puissance d’Etat soupçonnée de nourrir ces processus n’est pas la seule clef de réponse aux guerres hybrides. Une autre clef consisterait selon eux à consacrer des efforts importants à consolider les sociétés victimes de ce type de guerre précisément sans tenir compte du fauteur de trouble. Il est difficile d’admettre telle quelle cette piste, sans voir immédiatement les risques qu’elle comporte à l’épreuve des faits. Mais les réflexions qu’elle provoque, et le sérieux des recherches empiriques qui y ont conduit, méritent incontestablement d’être pris en compte.
Frédéric Charillon, directeur de l’IRSEM

J-F. Morin sur La politique étrangère



J-F. Morin, La politique étrangère. théories, méthodes et références, Armand Colin, Coll. U., 2013
La politique étrangère n’est pas à proprement parler la même chose que la politique de défense, on en conviendra. L’ouvrage de Jean-François Morin (professeur de relations internationales à l’Université Libre de bruxelles) part d’un cadre suffisamment large cependant, pour intéresser différentes politiques publiques. Récapitulant avec pédagogie (c’est bien l’objet de cette collection) ce qui fait les objectifs, les ressources, ce qui identifie les instruments ou les résultats de la politique étrangère, revenant sur les différents niveaux d’analyse (agent, structure, processus décisionnel, niveaux d’action, rétro-action), cet ouvrage s’inscrit dans la ligné de la foreign policy Analysis (FPA), dont elle présente les évolutions, les chapelles, les échecs aussi, opposant les approches par la rationalité, la culture, les acteurs sociaux, les institutions, la bureaucratie, le poids des décideurs.
A comparer avec d’autres manuels anglo-saxons récents (comme le Hadfield, Smith & Dunne, foreign policy. Theories, Actors, Cases, Oxford University Press, 2012 – 2e édition), celui-ci se signale notamment par une bibliographie riche, mais originale puisqu’elle privilégie les articles d’études de cas plutôt que les ouvrages de synthèse. Notons également l’excellente conclusion qui appelle à une politique étrangère comparée ainsi qu’à une ouverture de la FPA sur les acteurs non étatiques, rend hommage aux auteurs non américains (Carlsnaes en Suède, Jorgensen au Danemark, Ch. Hill au Royaume-Uni, Thomas Risse en Allemagne, Kal Holsti au Canada, Alex Mintz en Israël, Douglas van Belle en Nouvelle Zélande…), ainsi qu’aux comparativistes (Kaarbo, jenkins-Smith, Larsen, Oppermann, Balabanova….). Notons enfin l’insertion des approches de l’action extérieure dans la science politique plus généraliste, au prisme par exemple du féminisme, des modèles cybernétiques ou bien sûr du constructivisme. Comment, pourquoi et par qui des décisions sont-elles prises, qui engagent l’Etat et la société sur la scène mondiale ?  On trouvera dans cet ouvrage un large menu permettant de répondre à cette question toujours cruciale.

T.M. Nichols et V. Narang sur la dissuasion nucléaire



 
Th. M. Nichols, No use. Nuclear Weapons and U.S. national Security, University of Pennsylvania Press, 2014V. Narang, Nuclear Strategy in the Modern Era. Regional Powers and international Conflict, Princeton University Press, 2014
Retrouvez les autres notes de lecture dans la Lettre de l'IRSEM n°7-2014
Deux ouvrages universitaires américains viennent alimenter utilement la réflexion stratégique sur la dissuasion contemporaine, renouvelant considérablement l’exercice. Appliqué explicitement au cas américain, le travail de Thomas M. Nichols,  (Professeur au Naval War College de Newport) rappelle à quel point toute réflexion sur l’arme nucléaire doit repartir des leçons de la guerre froide, qui l’a vue naître. Revenant sur le sensde la dissuasion entre1950 et 1990, l’ouvrage s’interroge ensuite que sa signification dans un monde bipolaire, sur leur réappropriation par des Etats qui ne sont plus des superpuissances, et sur l’intérêt d’une dissuasion minimale. Les questions que soulève la dissuasion, on le sait, sont nombreuses : la première tient à l’incertitude absolue de ce qu’il restera des doctrines à l’épreuve de la réalité, et donc à la crédibilité du concept même de dissuasion, avant même d’entrer dans ses aléas techniques. Le processus décisionnel du feu nucléaire, ses flous (le rapport entre autorités civiles et militaire) et ses risques (un accident est-il possible ?), le coût réel de la bombe, la possibilité effective de frapper les populations civiles de gouvernements non démocratiques qui auraient déclenché les hostilités (ou bien d’imaginer d’autres scénarios, d’autres ciblages), la répartition des vecteurs (triade air-terre-sous-marins), les interrogations sur la dissuasion élargie aux alliés (qui rend l’auteur plus que sceptique), sur l’efficacité d’une défense anti-missiles (idem), constituent autant d’inconnues qui exigent de repenser la dissuasion. Nichols plaide ici pour une place plus grande faite à la riposte conventionnelle face aux Rogue States, mais pour le maintien d’une assurance vie nucléaire minimale, en dépit de son coût. Il contribue, en tout cas, au débat américain sur la question, toujours vivace.Vipin Narang (politiste au MIT), s’intéresse exclusivement aux puissances qu’il qualifie de régionales, c'est-à-dire qui ne sont pas les deux superpuissances de l’ère bipolaire : Pakistan, Inde, Chine, France, Israël et afrique du Sud (1979-91). La Corée du Nord et l’Iran sont exclus de l’analyse, faute de sources et de certitudes. L’intérêt principal de son analyse tient dans la typologie des doctrines qu’il propose, distinguant trois postures possibles : a) la posture « catalytique », où le recours à l’arme nucléaire est brandi essentiellement pour déclencher la protection d’un allié plus important (Israël et l'Afrique du Sud, cherchant à s’assurer de la protection américaine) ; b) la posture de « représailles assurées », pour les Etats qui excluent le first use, mais promettent la riposte nucléaire à quiconque les agressera nucléairement (Inde, Chine) ; c) la posture d’ « escalade asymétrique », de la part des Etats qui, à partir d’un territoire géographiquement plus vulnérable, assurent le feu nucléaire à quiconque mettrait en danger leur existence, même avec des moyens conventionnels (France, Pakistan). Comment ces doctrines ont-elles été retenues, comment ont-elles évolué avec les changements internationaux ? (La France, par exemple, aurait pu,  la fin de la guerre froide, passer à une posture catalytique, plutôt que de maintenir l’escalade asymétrique devenue, avec la fin de l’Union soviétique, tous azimuts). Plus que dans la contingence technologique, l’auteur cherche la clef de cette énigme dans l’optimum rationnel à trouver entre décideurs civils et militaires. Il ressort de ces ouvrages des points qui, avec d’autres travaux (notamment le Dissuasion nucléaire au XXIe siècle de Thérèse Delpech, 2013), commencent à faire consensus : a) il y a nécessité de repenser la dissuasion à l’heure de la prolifération ; b) un monde sans armes nucléaires n’est pas pour demain, mais une perspective de dissuasion minimale est plaidable ; c) la folie de l'hypothèse nucléaire ne doit à aucun prix être banalisée, la possession de la bombe par des régimes aux processus décisionnels incertains pose un risque supplémentaire à cet égard, mais les grandes puissances, du temps de la guerre froide, ont parfois été légères, elles aussi, dans leur maniement de cette menace ultime.  ; d) la dissuasion ne fonctionne pas contre tout le monde ni contre tout type d’agression ; e) la dissuasion élargie (aux alliés ou voisin) est moins que jamais crédible.D’utiles contributions à un agenda de recherche qui, en France, doit être redynamisé.

Difficulté à dissuader, maintien de la dissuasion



Difficulté à dissuader, maintien de la dissuasion Editorial de la Lettre de l'IRSEM n°7-2014



Il n’aura échappé à personne que peu d’acteurs, de nos jours, se sentent dissuadés sur la scène internationale. Ni l’acteur religieux Daech dans son entreprise irakienne et syrienne, ni l’acteur étatique russe en Ukraine, ni le régime de Damas dans son escalade violente depuis 2011, ni les criminels, pirates, hackers, ou autres, dans la poursuite de leurs activités. Tous, pourtant, ont reçu, sous des formes différentes, des avertissements solennels et promesses de punition de la part d’autorités dotées de moyens importants. Même sur le terrain traditionnel du rapport de force stratégique impliquant des Etats puissants, la dissuasion ne fait plus recette : Milocevic avait défié l’OTAN dans les années 1990, le Hezbollah en 2006 puis le Hamas à l’été 2014 en ont fait autant à l’égard d’Israël, la Corée du Nord multiplie les provocations (depuis sa posture nucléaire jusqu’à l’attaque d’une corvette sud-coréenne en 2010), l’Iran maintient son jeu complexe entre dossier nucléaire et équilibres proche-orientaux. Des relations de rivalité dangereuses, ailleurs, laissent libre court à l’aventurisme (Japonais et Chinois en mer, Indiens et Pakistanais au Cachemire…). En d’autres termes, le mécanisme consistant à persuader un acteur tiers qu’il lui serait trop coûteux d’agir contre les intérêts de ceux qui l’ont mis en garde, semble opérer de moins en moins. Les sciences sociales proposent de nombreuses explications possibles à ce phénomène : la perception (juste ou fausse) d’une faiblesse chez l’autre, dont on pense qu’il ne réagira pas avec force ; le calcul (juste ou erroné) que la prise de risque apportera quoi qu’il arrive un gain politique interne ou externe, même en cas de réaction internationale forte, d’autant que les menaces explicites des uns pourront être compensées par les soutiens discrets des autres ; la conviction chez un acteur donné que le fait de braver les mécanismes de dissuasion permettra de bousculer les contraintes systémiques en altérant la crédibilité de celles-ci. Mais au final, nous sommes bien entrés dans un monde où le fort peine à dissuader le faible, où la puissance n’effraie plus la nuisance, où les géants ont moins peur de se heurter entre eux.Cette difficulté croissante à dissuader doit-elle nous conduire à enterrer ce que nous appelons « la dissuasion », c'est-à-dire la possession d’armes nucléaires comme instruments ultimes ? telle n’est pas la réponse apportée par de nombreuses études de relations internationales publiées aujourd’hui dans le monde sur ce sujet. Celles-ci distinguent clairement, de façon qui peut certes dérouter, le fait de dissuader (au sens d’empêcher un tiers d’agir) du fait de posséder la dissuasion (au sens d’être doté de l’arme nucléaire). Et la plupart des auteurs concluent à la nécessité, pour les puissances déjà dotées, de maintenir et d’adapter cet attribut, plutôt que d’y renoncer. Pour résumer grossièrement ce débat : il est admis que les armes nucléaires sont de peu d’utilité face à un certain nombre de défis actuels, mais elles n’ont pas été faites pour cela, et leurs fonctions initiales restent valides, surtout si l’on parvient, en progressant vers des seuils minimaux, à diminuer les risques d’accident qu’elles comportent.Les principales limites de la dissuasion nucléaire sont connues et largement commentées : a) on imagine mal, en démocratie, qu’elle puisse s’appliquer face à des acteurs inférieurs, face à des actes terroristes, face à des agressions meurtrières mais non nucléaires, a fortiori si l’origine de celles-ci comporte un doute, et si la riposte implique d’anéantir des civils pour faire payer des acteurs déviants (Th. M. Nichols, No use. Nuclear Weapons and U.S. national Security, University of Pennsylvania Press, 2014) ; b) la dissuasion élargie, c'est-à-dire la protection des uns par les arsenaux d’un autre, éventuellement au prix du suicide de ce dernier, est moins crédible aujourd’hui encore qu’à l’époque où le général de Gaulle doutait fortement que les Etats-Unis puissent engager le feu nucléaire contre l’URSS uniquement pour sauver l'Europe (Th. Delpech, La dissuasion nucléaire au XXIe siècle. Comment aborder une nouvelle ère de piraterie stratégique, Odile Jacob, 2014) ; c) les débats sur les défenses anti-missiles, en dépit des lacunes de ces dernières, ont pour effet de brouiller le débat, et de rendre la dissuasion nucléaire plus impopulaire encore dans certains cercles intellectuels ; d) le fossé, en matière d’arme nucléaire, est tel entre les débats théoriques ou doctrinaux, et la réalité du processus décisionnel confronté à l’épreuve des faits, que ces débats sur la dissuasion apparaissent bien chimériques et vains (y compris déjà, à l’époque, pour Raymond Aron) ; e) surtout, on observe que des puissances nucléaires ont été tenues en échec militairement par des acteurs inférieurs, et qu’elles ont préféré gérer cet échec plutôt que d’avoir recours à leur arsenal nucléaire, dont l’usage n’aurait d’ailleurs pas nécessairement réglé leur problème. Mais les fonctions de la dissuasion nucléaire sont d’une toute autre nature. 1- La première d’entre elle est de garantir la survie d’une entité qui viendrait à être définitivement menacée, et non d’aider simplement cette entité à faire triompher ses intérêts ou ses projets sur des théâtres extérieurs. C’est pour cette raison que les Etats-Unis ont finalement renoncé, après 1945, à l’usage du nucléaire dans la guerre de Corée (1950-53), ou que l’URSS de Khrouchtchev a finalement reculé à Cuba (1962). Que la doctrine choisie implique l’usage en premier ou non, qu’il s’agisse d’obliger un allié à intervenir ou de se défendre soi-même (V. Narang, Nuclear Strategy in the Modern Era. Regional Powers and international Conflict, Princeton University Press, 2014), la dissuasion est bien une question de survie et non de compétition. 2- Par ailleurs, et au-delà de sa dimension militaire, elle constitue un attribut politique reconnu qui confère à ses possesseurs l’appartenance à un club fermé dont les membres font l’objet d’un traitement particulier. Sortir de ce club est possible (afrique du Sud, Kazakhstan, Ukraine, Belarus), renoncer à y entrer aussi (Argentine, Brésil, Suède…), mais au prix d’un renoncement à ce statut (B. Pelopidas, Renoncer à l'arme nucléaire, la séduction de l'impossible ?, Presses de Sciences Po, à paraître). De la même manière, renoncer à la dissuasion demeure hasardeux sur le plan de la sécurité, tant que d’autres acteurs la maintiennent pour eux-mêmes et que d’autres cherchent à l’acquérir. A partir de ces éléments, beaucoup d’auteurs se gardent de parier à court terme sur un monde sans dissuasion, et suggèrent un abaissement des seuils accompagné de mesures de vérification, plutôt que des renoncements unilatéraux. Ils prônent, en d’autres termes, une gouvernance maîtrisée du nucléaire (qui reste à imaginer) plutôt que son abandon chaotique. Dissuader est de plus en plus incertain, mais posséder la dissuasion est une toute autre affaire, et sur ces deux enjeux, une réflexion nouvelle est impérative.
Frédéric Charillon

Israel-Palestinian territories: Can there be an end to the historic conflict?

Géopolitique des conflits (Blog) - ven, 31/10/2014 - 16:28
Participant au débat de France 24 English – Débat animé par Stuart Norval, avec l’ancien Haut-Représentant de l’Union européenne au Quartet pour le Proche Orient, le journaliste de Yedioth Ahronoth Gil Mihaely et le président d’Obervers in Palestine Madjid Messaoudene, … Lire la suite →

Refusant l’ingérence, jusqu’à quand la Turquie acceptera-t-elle de rester passive?

Géopolitique des conflits (Blog) - dim, 26/10/2014 - 21:00
Interviewé dans L'Orient-Le Jour par le spécialiste de la Turquie et journaliste Jihad Naoufal, édition du 20/10/2014: "Selon Julien Théron, politologue spécialiste de la géopolitique des conflits et enseignant à l'Université de Versailles, l'attitude de la Turquie face au problème de … Lire la suite →

Whoose boots on the ground? Turkey wary of Syrian Kurds

Géopolitique des conflits (Blog) - dim, 26/10/2014 - 20:56
Participant au débat de France 24 English – Débat animé par François Picard, avec le diplomate américain William Jordan, l'universitaire turc Akin Unver et le représentant de Stop the war Jim Brann, France 24, 20/10/2014, 19h10-20h Voir le débat sur … Lire la suite →

The Battle of Kobane – Will Turkey Step In?

Géopolitique des conflits (Blog) - dim, 26/10/2014 - 17:41
Participant au débat de France 24 English – Débat animé par François Picard, avec le journaliste Allan Kaval, l'universitaire kurde Cengis Gunes et le conseiller turc Kadir Ustun, France 24, 20/10/2014, 19h10-20h On Sunday, the Pentagon announced weapons and medical … Lire la suite →

Strikes over Syria: Who’s on Board?

Géopolitique des conflits (Blog) - sam, 25/10/2014 - 19:27
Participant au débat de France 24 English – Débat animé par François Picard, avec le général français Dominique Trinquand, le négociateur politique américain Ali Khedery, et l’ancienne porte-parole de la Coalition nationale syrienne Emma Suleyman, France 24, 23/09/2014, 19h10-20h Voir … Lire la suite →

Les leçons de l’émergence de l'Etat islamique





Les gains territoriaux rapides de Daech au Proche-Orient s’imposeront sans peine (avec la crise ukrainienne et celle de Gaza notamment), parmi les événements internationaux marquants de l’année 2014. A ce stade, plusieurs réflexions, sans doute provisoires, méritent d’être menées.
En premier lieu, la relativisation stratégique du Proche-Orient, souvent annoncée en 2013 au profit de l’Asie, n’est plus qu’un lointain souvenir. La situation syrienne, celle de l'Irak, l’incertitude égyptienne, mais aussi la nouvelle crise de Gaza dans l’été, ont témoigné une nouvelle fois et de façon dramatique, de la centralité persistante de cette zone aux déséquilibres tenaces, aux conflits non réglés. 
Ensuite, l’irruption de Daech dans le paysage démontre à la fois les impasses de l’Etat failli ou effondré, laissant un vide vite rempli par des entrepreneurs identitaires (en l’occurrence sunnites) dont la violence extrême s’affiche comme substitut voire comme remède aux systèmes claniques précédents (en l’occurrence chi’ites). N’en tirons pas, naturellement, la conclusion qu’il aurait fallu préserver les deux systèmes baasistes dans ce qu’ils avaient eux-mêmes d’extrême. Mais admettons que rien de viable n’a encore été construit sur les ruines du premier (en Irak), ni pour répondre à la fuite en avant du second (en Syrie).Par ailleurs, l’affaire Daech a mis en lumière l’ambiguïté comme mode opératoire essentiel de la plupart des systèmes diplomatiques moyen-orientaux. 

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A.J. Bacevich, The New American Militarism


A.J. Bacevich, the new American Militarism. How Americans Are Seduced By War, Oxford University Press, Oxford, 2013
Voir les autres notes de lecture dans la Lettre de l'IRSEM n°6 - 2014

En 2005, dans la première édition de ce travail, Andrew Bacevitch  nous expliquait, après le déclenchement de deux guerres américaines en Afghanistan et en Irak, pourquoi les Etats-Unis s’étaient fondamentalement, culturellement, durablement construits sur la militarisation de la société, ce qui allait, en toute logique selon lui continuer de favoriser les interventions militaires extérieures. Huit ans plus tard et sous le second mandat de Barack Obama, l’auteur persiste et signe, restituant presque intact son premier jet augmenté d’une mise à jour. Obama ne corrige pas à lui seul le militarisme américain, ne le peut pas, ne le souhaite pas. Très critique vis-à-vis de ce « mariage entre un esprit de caste militaire et un esprit d’utopie » (à la fois ancré dans le passé et objet de consensus bipartisan (p.3), Bacevitch, auteur de nombreux ouvrages de stratégie (Washington Rules, The Limits of Power, The End of American Exceptionalism…), en dresse la sociologie et les limites. Réponse de certains groupes au traumatisme du Vietnam, favorisé par les segments les plus religieux de la société, entretenu par Hollywood, le militarisme excessif (et ses rhétoriques dangereuses, comme cette « guerre contre la terreur » qualifiée de « quatrième guerre mondiale » - après la guerre froide qui aurait été la troisième), n’a plus permis de gagner de guerre véritable depuis 1945. Au fil des portraits de généraux et de politiques, l’auteur nous brosse le tableau d’une impasse et propose dix préconisations en fin d’ouvrage, qui culminent avec un appel au retour du soldat citoyen. On peut douter de certains pronostiques (le fossé de puissance entre les Etats-Unis et ses poursuivants reste bien profond, contrairement aux prédictions de 2005), de certains parallèles étranges (Reagan héritier de Wilson et de Roosevelt), contester l'hypothèse d’ensemble (car Obama semble tout de même, malgré les drones et les cyber-attaques, nettement moins portée sur l’action militaire que son prédécesseur). Mais Bacevitch a une thèse, et il la défend âprement, avec conviction et talent.

J. Soeters, P.M. Shields, S. Rietjens (dirs.), Routledge Handbook of Research Methods in Military Studies


J. Soeters, P.M. Shields, S. Rietjens (dirs.), Routledge Handbook of Research Methods in Military Studies, Routledge, Londres, 2014
Voir les autres notes de lecture dans la Lettre de l'IRSEM n°6-2014
Ce nouveau manuel de l’éditeur Routledge (Londres) a tous les atouts pour devenir le livre de chevet des doctorants civils ou militaires, des auditeurs de l’Enseignement Militaires Supérieur, et de bien d’autres encore. Eminemment épistémologique, il revient sur la méthodologie permettant de saisir la spécificité du contexte militaire, à partir des approches qualitatives ou quantitatives. Poursuivant en cela le travail déjà remarquable dirigé par H. Carreiras et C. Castro en 2012 (Qualitative Methodes in Military Studies, Routledge), l’ouvrage reprend des débats certes connus des chercheurs (comment faire de la recherche scientifique en milieu conflictuel, comment communiquer entre chercheurs et militaires, comment accéder aux données dans un domaine sensible…), mais y ajoute des éclairages bienvenus. Jusqu’où faut-il pousser la réflexivité (ou réflexion sur sa propre démarche et son efficacité, par E. Ben-Ari), comment retracer les processus décisionnels dans les études de cas (P. Vennesson et I. Wiesner), que faire des égo-documents (comme les récits par des militaires de leurs propres campagnes, par exemple – par E. Kleinreesink), comment faire parle le net dans la recherche anti-terroriste (R. Brooks)… On retient également les interrogations de F. Baudet et E.A. Sibul sur la place de l’histoire dans l’analyse militaire, les remarquables leçons afghanes de W. Maley sur l’étude des populations locales (voir sur ce point un autre manuel de Routledge, S. Carlton-Ford et M.G. Ender, The Routledge Handbook of War and Society, 2013), toute la partie sur l’approche quantitative, et l’analyse de P.M. Michels et T.A. Whetsell sur la publication des études militaires. Les bibliographies en fin de chapitres sont précieuses, l’ensemble (27 contributions) laisse peu de sujets de côté, et vient compléter encore l’effort notable de cet éditeur britannique pour baliser la tradition des military studies.

Du "choc des civilisations" au révisionnisme régional

Editorial de la Lettre de l'IRSEM n°6 2014

Il y a maintenant plus de vingt ans dans la revue Foreign Affairs (Eté 1993, Vol. 72, N°3), Samuel Huntington signait son célèbre article sur le choc des civilisations, lançant ainsi une polémique durable. Le simplisme de sa vision, le flou du concept de civilisation sous sa plume (lequel prenait tour à tour le visage d'une alliance, d'une religion, d'une zone géographique ou parfois d'un État isolé - comme le Japon), les erreurs politique qu’il a justifiées, ont peu à peu marginalisé ce travail dans le monde académique (dont Huntington est pourtant issu). Mais nullement dans le débat public, où cet idiome resurgit presque chaque fois qu'une dimension religieuse ou ethnique transparaît dans un conflit. Rééditées après le 11 septembre 2001 (et présentées comme 'annonciatrices' des attentats), les thèses huntingtoniennes ont depuis été convoquées régulièrement. Il n'en reste pourtant rien à la lumière de l'actualité récente.
Les guerres à venir, nous disait Huntington, mettront aux prises des « civilisations », identités, cultures rivales, que rien ne peut plus amener à coexister, et qui voudront s'exclure mutuellement jusqu'à annihilation de l'autre. Il faudrait une singulière mauvaise foi aujourd’hui pour qualifier de choc de civilisations les rivalités entre sunnites et chi'ites au Moyen-Orient, ou la situation dans l'est de l'Ukraine. Ces situations opposent en effet des acteurs que le politologue américain classait jadis dans la même "case" civilisationnelle : le monde "islamique" pour les uns, "slave-orthodoxe" pour les autres. Passons sur les conflits africains, dont les protagonistes sont situés sur un continent qu'Huntington hésitait même à qualifier de civilisation. C'est bien au contraire la proximité culturelle de ces acteurs qui frappe, et la dimension proprement politique de leurs affrontements qui prévaut.
La grande menace qui pèse sur l'Occident, nous disait-on encore, résiderait dans une possible alliance "islamo-confucéenne", c'est-à-dire entre la Chine et le monde musulman. La situation dans le Xinjiang, pour dire le moins, n'en est pas annonciatrice. Le salut face à cette conjuration, promettait-on, était dans amarrage plus fort au sein de la « civilisation occidentale », des pays charnières situés inconfortablement aux confins de ces mondes, comme la Turquie, qui nous appelleraient à leur secours. La rhétorique actuelle du président Erdogan ne va pas tout à fait dans ce sens.
Si l'apocalypse d'une grande guerre civilisationnelle n'a pas eu lieu, on aurait tort néanmoins de se contenter de savourer la caducité des théories d'Huntington. Car les défis auxquels nous sommes confrontés sont plus complexes encore que cette carte des civilisations dont le mérite (qui a fait son succès) était d'être accessible à la compréhension de tous, y compris des moins informés.
Nous découvrons désormais un phénomène que l'on pourrait résumer en le qualifiant de révisionnisme régional, et qui touche plusieurs zones de la planète. Quelles en sont les caractéristiques ? En premier lieu, des acteurs aux identités proches et ayant autrefois coexisté, revendiquent ou imposent au nom de l'histoire la révision des frontières actuelles. En Crimée, l’annexion russe viendrait ainsi sanctionner un droit historique bafoué provisoirement par les errements d’une période soviétique. Dans l’est de l’Ukraine, sans annexion toutefois, on avance également les droits de populations russophones. beaucoup plus loin en Mer de Chine du Sud, les revendications territoriales (notamment chinoises) et l’invocation de l’histoire, servent cette fois à contester des frontières maritimes. En Irak et en Syrie, c’est un mouvement armé se revendiquant d’une religion, et non plus un Etat, qui raye les frontières actuelles au nom d’un « Califat », dans une allusion historique là encore.
Ces tensions – c’est le deuxième point – n’ont rien de « civilisationnel », car on peinerait à qualifier ainsi les ruptures entre sunnites et chi’ites, entre Kiev et Moscou, en Pékin et Taipei (ou même d’autres capitales voisines, comme Manille ou Hanoï). Tout au plus pourrait-on plaider un choc entre civilisations confucéenne et japonaise sur les îles Diaoyu / Senkaku, mais admettons qu’on s’éloignerait fort de l’esprit principal des écrits d’Huntington…
Surtout, ces conflits, ces revendications, les acteurs qui les expriment, remettent en cause les frontières et contestent ainsi un droit international réduit à un héritage passé jugé illégitime, tandis que les acteurs qui l’avaient imposé ont disparu, ou sont jugés en déclin. Il s’agit donc d’un mouvement révisionniste, d’origine étatique ou non étatique. Etatique, lorsque l’on bafoue les frontières européennes ukrainiennes ou lorsque l’on rejette la lecture classique de la convention de Montego Bay en Asie. Non étatique, avec le caractère transnational des jihadistes au Sahel à partir du sud de la Libye, avec Daesh en Irak/Syrie, avec les dépassements frontaliers des shebab somaliens, ou ceux de Boko Haram à partir du Nigéria.
En s’en tenant aux théories huntingtoniennes d’un choc des civilisations, on commet au moins trois erreurs dans l’appréciation de ce phénomène. 1- On en fait une lecture culturelle alors qu’il demeure éminemment politique. 2- On y voit une rupture novatrice alors qu’il s’agit d’un révisionnisme ayant le passé pour référent principal. 3- On l’imagine d’abord en danger global, en sous-estimant le fait qu’il vise d’abord à une redistribution régionale des cartes, ciblant en priorité des régimes précis et géographiquement proches. Un ordre international est aujourd’hui contesté, cette contestation prend différentes formes et mobilise différents types d’acteurs, unis dans un esprit de révisionnisme. Il importe d’en prendre la mesure.

Questions sur le coût de la guerre



Questions sur le coût de la guerre
Un constat : la crise budgétaire des grands interventionnistes occidentauxLire la suite dans B. Badie, D. Vidal, Nouvelles guerres. L'état du monde 2015, La découverte, Paris, 2014 
Depuis l'avènement en 1989-91 d'un « entre-deux stratégique » ouvert par la fin de la bipolarité vers un système international encore incertain, les trois puissances militaires occidentales américaine, britannique et française, parfois accompagnées de partenaires, ont assuré la plupart des grandes interventions militaires et leur commandement. A l'exception de la guerre irakienne de 2003 (à laquelle la France de Jacques Chirac a refusé de participer), ce sont bien ces trois alliés que l'on retrouve ensemble, du Golfe (1991) à la Libye (2011), du Kosovo (1999) à l'Afghanistan (à partir de 2003). Agissant parfois plus individuellement, chacun des trois a conservé le soutien des autres: les États-Unis en Somalie en 1992, ou dans de nombreuses opérations contre « la terreur » après 2001, du Yémen jusqu’aux Philippines ; la France principalement en Afrique, comme en Côte d'Ivoire depuis 2001 (opération Licorne), en Ituri à la tête d'une opération labellisée Union européenne (2003), au Mali ou en Centrafrique aujourd'hui.
Or ce sont ces mêmes puissances qui affichent désormais, dans une grande transparence d'ailleurs, les restrictions imposées à leurs appareils de défense par une contrainte budgétaire que la crise financière internationale de 2008 a considérablement accentuée. Si sa marge de manœuvre reste énorme (37% des dépenses militaires mondiales en 2013, un budget militaire de 460 milliards d'euros), les coupes annoncées par l'Amérique sont impressionnantes (-7,8% en 2013, près de 500 milliards de dollars sur dix ans à partir de 2012).  Épuisée par ses deux aventures irakienne et afghane auprès de l'allié américain, l'armée britannique subit le programme d'austérité décidé par David Cameron en 2011 (8% de réduction sur la défense). La France a amorcé, avec le Livre Blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale, un nouveau modèle d'armée, c'est à dire une réduction de son outil militaire intensifiée encore par le livre blanc de 2013. Si le budget global est à peu près maintenu du fait d'un effort sur les équipements (autour de 31 milliards d'euros annuels), ce sont 78.000 personnels qui sortent des effectifs (54.000 entre 2009 et 2015, plus 24.000 autres annoncés en 2013).
Un point amène certes à relativiser cette tendance: le temps n'est plus aux armées de masse, de conscrits ou de chair à canon, mais plutôt à des professionnels entraînés et équipés pour des missions de haut niveau. Et de ce point de vue les trois armées concernées maintiennent leur savoir-faire, ainsi qu'un niveau technologique peu égalé ailleurs. Elles conservent l’outil de la dissuasion nucléaire, qui leur confère un statut politique précieux. Mais comment ne pas voir également les rééquilibrages et les défis ? D'une part, ces trois puissances peuvent de moins en moins compter sur l'appoint de leur propre camp, otanien ou européen : les États membres de l'UE ont quasiment renoncé à la puissance, avec des budgets de défense dérisoires et la volonté politique qui va avec (-0,7% pour l'UE en 2013, mais huit pays ont diminué leur budget de plus de 10%, dont l’Italie, les Pays Bas et le Royaume-Uni). D'autre part, d'autres puissances, ailleurs, développent un instrument militaire à la vocation agressive peu dissimulée, tandis que des régions entières s'adonnent à la course aux armements. La Chine, avec un budget estimé depuis l'Ouest à environ 100-150 milliards de dollars annuels, travaille au développement de sa puissance maritime, et à des systèmes de déni d'accès aux espaces qu'elle considère comme siens en Mer de Chine du sud (les fameux A2/AD, ou anti-access/area denial). Elle a augmenté ses dépenses militaires de 7,4% en 2013 et annonce une augmentation de 12,2% de son budget défense pour 2014. La Russie, qui n'a pas la même marge de manœuvre, a augmenté son budget de 4,8% en 2013, et semble réhabiliter le fait accompli militaire, comme on l’a vu en Géorgie puis en Crimée. Dans le monde, 23 pays ont doublé leurs dépenses en dix ans, et aucun n'appartient à l'Alliance atlantique (par exemple l’Angola, tandis que l’Arabie Saoudite, avec 67 millliards de dollars et 9,1% de son PIB consacré à la défense, devient le 4e pays du monde pour les dépenses militaires, devant la France et après les Etats-Unis, la Chine et la Russie). A l'heure où de surcroît les troubles de sécurité issus du monde non étatique se multiplient (piraterie maritime, bandes armées, contestation religieuse armée, guerres de cartels…), le paysage se transforme, et le fossé, pour les grands intervenants occidentaux, semble se creuser entre les défis et les moyens.

Armées de riches, guerres de pauvres?
La question dépasse la simple promenade chiffrée, qui se résumerait comme au temps de la guerre froide à compter les missiles, chars et avions des uns et des autres. Car la mesure du rapport de force, avec les mutations de la guerre, a changé. Après l’armée rouge dans les années 1980, ce sont les Etats-Unis qui sortent d’Afghanistan sans avoir atteint leurs objectifs. Après le camouflet somalien de 1992 et peu de temps avant sa retraite afghane, la même Amérique quittait en 2011 un Irak en ruine. La France qui pouvait jadis, disait-on, « changer le cours de l’histoire » en Afrique avec quelques avions et une poignée d’hommes, s’est trouvée à la peine en Côte d’Ivoire (depuis le lancement de l’opération Licorne en 2002). Plus efficace dans l’opération Serval au Mali (depuis janvier 2013), elle fut prise ensuite dans une mission difficile en Centrafrique (opération Sangaris, depuis décembre 2013), sans jamais se trouver face à une armée régulière. Avec l’appui de son allié britannique et force soutien logistique américain, elle dut mobiliser des moyens importants pour venir à bout de la garde et des mercenaires d’un colonel Kadhafi tué dans l’opération, mais auquel ont succédé le chaos en Libye et la prolifération de violence au Sahel. Face aux machettes, aux pick-up et aux combattants de fortune, les riches peuvent-ils encore faire les guerres des pauvres ?

The Truth About Taxes

Foreign Affairs - mer, 17/09/2014 - 05:17
In recent years, Occupy Wall Street hasn’t been the only group worried about how the spoils of economic growth have been distributed. Governments worldwide increasingly share the sentiment: like the pinched middle classes, they feel that corporations are taking too much of the profits for themselves. Here's the OECD and G-20's plan to get them to pay more.

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