Le 19 janvier dernier, Jacques Munier dans sa chronique « Le Journal des idées » sur France Culture a consacré son émission à la Turquie. Il cite à cette occasion l’article de Jana Jabbour, « La Turquie, une puissance émergente qui n’a pas les moyens de ses ambitions », publié dans le numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020).
Le communiqué, publié le 3 janvier par le corps enseignant, résume la situation : « Pour la première fois depuis le régime militaire de 1980, un administrateur non élu et n’appartenant pas au corps enseignant de l’université a été nommé recteur ». Et de dénoncer « des pratiques anti-démocratiques qui vont s’aggravant sans cesse depuis 2016 ». L’université du Bosphore à Istanbul, première université de Turquie, est classée parmi les 500 meilleurs établissements dans le monde. Dans Libération, le philosophe Étienne Balibar et Zeynep Gambetti – ancienne professeure dans cette université – soulignent sa tradition d’autonomie, de liberté scientifique et de respect des valeurs démocratiques. Ils rappellent par exemple la tenue en son sein d’un colloque international sur la situation des Arméniens dans l’Empire ottoman d’avant 1915, qui lui avait valu les foudres des nationalistes et des conservateurs. […]
Une posture proactive en MéditerranéeAu plan géopolitique, « la Turquie adopte une posture de plus en plus hostile aux pays occidentaux » dont son activisme en Méditerranée orientale et en Lybie est l’illustration, résume Jana Jabbour, enseignante à Sciences-Po, dans la revue Politique étrangère. Le titre de son article : « La Turquie, une puissance émergente qui n’a pas les moyens de ses ambitions ».
En adoptant une posture proactive et en s’affirmant comme puissance régionale dans cette région clé pour les équilibres géopolitiques mondiaux, Ankara entend accroître son poids sur la scène internationale pour devenir un État-pivot et un acteur-clé de la gouvernance mondiale.
Jana Jabbour, Politique étrangère, n° 4/2020.Accédez à l’émission dans son intégralité ici.
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Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020). Julien Nocetti propose une analyse de l’ouvrage de Samuel Woolley, The Reality Game: How the Next Wave of Technology Will Break the Truth (PublicAffairs, 2020, 272 pages).
Les études sur la propagande et la désinformation sont traversées de nombreux chausse-trappes et néologismes. Dans The Reality Game, il n’est pas question de fake news ; pour l’auteur, l’expression, ultra-malléable, serait devenue un outil de diffusion massive des fausses informations elles-mêmes. Dans la foulée de travaux récents, Samuel Woolley, à la fois universitaire et think tanker, privilégie le terme de computational propaganda, qu’il estime refléter plus fidèlement les mutations technologiques en cours. Celle-ci consiste en la combinaison des usages des réseaux sociaux, des métadonnées (big data) et d’algorithmes d’Intelligence artificielle (IA) dans l’objectif de manipuler l’opinion publique.
Les illustrations abondent : recourir aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) pour attaquer anonymement des journalistes et les dissuader dans leurs enquêtes ; utiliser des serveurs vocaux interactifs imitant la voix humaine pour appeler simultanément des milliers d’électeurs et les désinformer ; utiliser l’IA et les bots pour fausser la communication humaine dans le but de piéger les algorithmes qui gèrent les nouvelles sur les moteurs de recherche et les réseaux sociaux en priorisant certaines par rapport à d’autres. L’idée derrière la computational propaganda est bien de permettre une propagande et une désinformation très personnalisées, tous azimuts, et difficilement maîtrisables pour la victime.
La propagande computationnelle a de nombreux effets bien réels, parfois physiques. Si Samuel Woolley livre des exemples concrets – l’affaire Jamal Khashoggi, les attentats du marathon de Boston en 2013 –, il souligne surtout la dérive technologique de la propagande et de la désinformation à l’ère du tout-numérique. Les vidéos deepfake, qui manipulent la réalité, deviennent de plus en plus crédibles grâce aux outils d’IA, créant un espace d’expression pour de nouveaux types de désinformation – peu coûteux – et présentant un risque élevé d’escalade, notamment dans des contextes électoraux.
Ces outils contribuent à élargir le cercle des acteurs pouvant influencer directement les opinions publiques, voire la prise de décision politique. La désinformation et la subversion « augmentées » à l’IA, moins statiques car diluant plus habilement qu’auparavant l’authentique dans la confusion, renouvelleront, selon l’auteur, les pratiques de guerre informationnelle.
Une autre difficulté majeure tient à l’alignement de facto des intérêts des principaux acteurs de l’« économie de l’attention » (les GAFAM), et de ceux produisant de la désinformation politique. Pour les États, l’un des défis consiste à agir sur le terrain politique en ne laissant pas aux grandes plates-formes le monopole de l’initiative technologique. Woolley n’élude pas la responsabilité des acteurs privés – dont YouTube, souvent « oublié » dans les débats –, qui préfèrent souvent se défausser derrière les promesses de l’IA pour éradiquer désinformation et propagande, au détriment de la prise en compte d’autres facteurs (conditions de travail et formation des modérateurs de ces plates-formes, interrogation sur le profil des consommateurs de la propagande computationnelle, etc.).
Enfin, un des messages de l’ouvrage – nous vivons à une époque où la quête pour contrôler la réalité devient ludique – aurait mérité d’être davantage approfondi, ce que l’auteur fera certainement dans de prochains travaux.
Julien Nocetti
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This article is the English version of : Marie-Françoise Bechtel, « Peut-il y avoir une démocratie européenne ? », published in Politique étrangère, Vol. 83, Issue 4, 2018.
Asking whether a European democracy is in fact possible is clearly a sign of the times. Does this question, which points to a deficit by inviting us to revisit a much-criticized model, also point to a necessary objective? We might initially think not: things move fast in the early twenty-first century and, as Hubert Védrine highlights, the world does not wait for powers to constitute themselves as such if they have neither the desire nor the ability to do so.
In the multilateral world that is currently taking shape, is the key challenge for Europe not rather to present itself as a power that can defend its economic and strategic interests like the other great centers of power, providing itself with the means to speak in an independent voice to the best of its ability? In terms of this challenge—which plants the seeds of tomorrow in the present, and highlights that action cannot be taken too soon—it could be argued that the EU’s internal modes of existence and organization are ultimately of secondary importance. We might even go so far as to apply the reasoning of Thierry de Montbrial, who believes that in the current international order, what counts is the effectiveness of a regime, which results from its power and thus wins the support of its people. It is, however, undeniable that the EU lacks effectiveness in its self-projection as a power, and above all lacks the support of the peoples within it. This is hardly surprising.
The democratic deficitIt is difficult for any honest observer, let alone a jurist, to deny that the EU has a democratic deficit. Indeed, the word “deficit” is actually something of an understatement here.
What is inevitable?
It is often pointed out how the EU’s expansion made effective governance based on representation worthy of this name impossible, but this overlooks the fact that the European Economic Community (EEC) turned its back on the essential principles of democracy at a very early stage. It was with the Van Gend en Loos ruling in 1963 that the Court of Justice of the European Communities (CJEC) established law decided by the Community authorities as a “sovereign legal order imposed on member states.” This power grab beyond the letter and spirit of the Treaty of Rome initially went unnoticed, as it seemed to represent a diversion from the hierarchy of norms, a kind of challenge destined to remain the only of its kind. However, and contrary to all expectations, this approach ultimately succeeded in the context of inattentiveness and carelessness on the part of the member states: nature abhors a vacuum, and the ambition of judges did the rest.
It was also with the support of judges that EU directives—which, according to the text of the treaty (still in force), “shall be binding, as to the result to be achieved, upon each Member State”—became texts that set out in detail how this “result” should be reached. As a result, the transposition of directives has now become a matter of simply copying and pasting into domestic law extremely dense texts that are usually dictated by non-representative bodies —a point to which we will return—with ever-increasing reach. While citizens’ obligation to know the law remains theoretical when it comes to national law (which itself has the tendency to become tediously prolix), this deficit is amplified to the nth degree in European law, with these same citizens being aware of its vast extent and nothing else. For thirty years the EU’s powers were continually expanded, and their juxtaposition with out of reach institutions did the rest.
The institutions
The institutions of the modern EU do not fundamentally differ, in their actual definition, from those present at its beginnings. The fact that they exercise an increasing number of sometimes poorly defined powers does however give the devolved powers of the bodies that make up the EU much greater reach.
Technically speaking the EU is an international organization, but one that is sui generis, in which the member states “have freely chosen to exercise some of their powers in common,” as article 88-1 of the French Constitution has stated since Maastricht (1992). This makes it a unique organization. The question is whether the acceptance of supranationality may exempt the institutions of this unique body from respecting democratic standards founded on the separation of powers. These powers are almost entirely absent: first and foremost, there is no legislative power derived from a sovereign people that has exclusive power to define norms, a power that is shared with the Commission. The Commission is itself not only the executive body of the Council of the European Union, but a parallel source of uncontrolled legislative initiative. Meanwhile, judicial authority is beyond the reach of citizens, who can consult the Court only in cases where there is a direct interest, few of which it recognizes. […]
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