Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Jonathan M. House, A Military History of the Cold War (University of Oklahoma Press, 2020, 472 pages).
Jonathan M. House, colonel en retraite, professeur émérite d’histoire militaire au Command and General Staff College de l’US Army, a notamment co-écrit avec David Glantz plusieurs ouvrages remarqués sur l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec ce deuxième tome de son histoire militaire de la guerre froide (le premier a été publié en 2012), il couvre la période 1962-1991, dominée par les insurrections, la guérilla, mais aussi la montée du terrorisme. Le livre n’oublie bien entendu pas le fait nucléaire et les quelques conflits conventionnels du Moyen-Orient, tout comme les deux guerres où les superpuissances ont été engagées : Vietnam et Afghanistan.
Dans le premier chapitre, l’auteur évalue l’équilibre des forces, conventionnelles ou non, entre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et le Pacte de Varsovie à la « mi-temps » de la guerre froide. Vient ensuite une partie dédiée aux conflits, essentiellement post-coloniaux, en Afrique (Biafra, Congo, Rhodésie, etc.), en Amérique latine (Bolivie, Nicaragua, Salvador, etc.) et en Asie du Sud (Indonésie, Bornéo, Inde et Pakistan, etc.). L’auteur y met notamment en évidence les principaux acteurs de ces turbulentes années 1960, comme les Cubains par exemple. Deux épais chapitres sont consacrés à la guerre du Vietnam, du début de l’insurrection vietnamienne jusqu’à l’entrée au Sud de l’armée nord-vietnamienne en 1975, en passant par les batailles menant à l’offensive du Têt de 1968. L’intervention soviétique en Afghanistan fait également l’objet d’un développement consistant. Les mauvaises décisions stratégiques et opérationnelles du politburo et de l’Armée rouge y sont exposées clairement.
En revanche, les guerres israélo-arabes de 1967 et 1973 sont analysées de façon sans doute trop synthétique : l’auteur ne leur consacre que 20 pages. Toujours est-il que, dans un autre chapitre, Jonathan M. House détaille de façon très intéressante l’influence de la guerre du Kippour sur les évolutions doctrinales et capacitaires américaines après le Vietnam. Quelques pages sont ensuite dédiées à la défense civile, aux États-Unis, en Union soviétique et au Royaume-Uni, ainsi qu’aux mouvements de protestation internes aux deux blocs.
La décennie 1980 est initialement abordée via le désastre d’Eagle Claw, l’opération destinée à libérer les 53 otages détenus dans l’ambassade américaine de Téhéran. Puis l’auteur s’attache à décrire le « renouveau » militaire américain, avec l’arrivée à maturité de certaines technologies comme les munitions de précision guidées, ou le développement de la doctrine de la bataille aéroterrestre (AirLand Battle). Ces années 1980 sont ensuite analysées au prisme des conflits des Malouines, de la Grenade, du Liban, de la Libye ou encore de la guerre Iran-Irak. Les tensions dans le golfe Persique ne sont pas oubliées. Le livre se termine sur la tentative ratée de Mikhaïl Gorbatchev d’enrayer le déclin économique et militaire de l’Union soviétique et sur la dissolution du Pacte de Varsovie.
Jonathan M. House offre ici une synthèse admirable des principaux conflits et tendances militaires de cette guerre froide conclue voici trente ans, mais dont l’influence perdure jusqu’à aujourd’hui. Ce livre constitue une excellente introduction au spectre extrêmement large des confrontations militaires qui se sont produites de 1962 à 1991.
Rémy Hémez
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Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Carole Mathieu, chercheuse au Centre Énergie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Laurent Fabius, Rouge Carbone (Éditions de l’Observatoire, 2020, 256 pages).
2020 devait être une année charnière pour les négociations climatiques internationales. Cinq ans après son adoption, l’accord de Paris entrait en application, et l’ensemble des États étaient invités à présenter de nouveaux engagements à l’occasion de la COP26, prévue à Glasgow en novembre. Dans la perspective de ce « moment de vérité », Laurent Fabius entendait dresser un bilan des progrès accomplis depuis la COP21, la grande conférence sur le climat qu’il avait préparée et présidée en sa qualité de ministre des Affaires étrangères.
La crise du COVID-19 a toutefois conduit au report de la prochaine COP à 2021, et la publication de Rouge Carbone intervient finalement en décalage de l’agenda diplomatique. Mais l’analyse conserve sa pertinence : elle est utilement complétée par un parallèle entre crises sanitaire et climatique, et contribue à la réflexion au long cours sur les ressorts de la coopération internationale autour des enjeux environnementaux.
Sans surprise, Laurent Fabius souligne la nécessité et l’urgence du combat climatique en s’appuyant sur les derniers travaux des climatologues, des institutions internationales et des organisations non gouvernementales. Il relève l’insuffisance des efforts déployés pour maîtriser l’évolution des émissions mondiales, précise les difficultés à entretenir la dynamique alors que les conséquences du réchauffement climatique sont perçues de manière diffuse et collective, et pointe la nécessité d’une conception élargie des enjeux environnementaux associant climat, biodiversité et lutte contre la pollution. Se référant à l’état actuel des connaissances, Laurent Fabius tente également de définir des attentes raisonnables concernant les différents leviers d’action, comme le déploiement des technologies bas-carbone ou le verdissement de la finance.
Son propos gagne en originalité lorsqu’il évoque la position des grands pays émetteurs dans les négociations climatiques, à commencer par celle des États-Unis de Donald Trump. Là où d’autres minimisent la portée de l’élection présidentielle de 2016, Laurent Fabius voit une calamiteuse régression, qui a conduit à un tel relâchement de la pression internationale que les autres parties refusent aujourd’hui les avancées nécessaires. Le président de la COP21 reconnaît alors que l’accord de Paris est appliqué de manière déficiente, mais il tempère aussi les arguments de ceux qui dénoncent l’inefficacité de la négociation interétatique au sein des Nations unies. Il rappelle utilement que les COP sont la seule occasion de confronter les États à leurs responsabilités sous le regard de l’opinion mondiale. Toutes les initiatives sont bienvenues, mais aucune ne peut remplacer les engagements formels des États et le suivi de leur application.
S’il défend la complémentarité entre grandes décisions et petits gestes, Laurent Fabius soutient aussi que les négociations climatiques gagneraient en efficacité si un temps plus long était consacré à l’examen comparé des résultats nationaux, ou encore si les gouvernements étaient appelés à formuler des plans de transition juste, incluant des mesures d’accompagnement des secteurs intenses en carbone. Comme la crise du COVID-19 invite aux remises à plat et qu’il n’est plus nécessaire de préparer la COP26 dans la précipitation, il faut espérer que certaines de ces pistes seront explorées sérieusement.
Carole Mathieu