Dans l'indifférence la plus générale, le Front national se renforce, les votes en sa faveur gonflent et se banalisent. Il est devenu presque "évident" d'imaginer Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Certes, la situation nous mobilise sur d'autres luttes, tout à fait centrales contre le libéralisme, mais en même temps comment, plus longtemps, fermer les yeux sur les votes FN et ne pas collectivement entamer des discussions pour mieux les comprendre?
Une nouvelle guerre des gauches n'est pas inéluctable à l'Assemblée en juillet, lors du retour de la loi travail. La voie de passage est étroite. Avec la volonté de reposer sur la table les enjeux du texte, le bloc des députés socialistes, écologistes et communistes opposé au gouvernement fourbit les armes. À l'origine d'une tentative de motion de censure en première lecture à l'Assemblée, ces députés se sont lancés, à leur initiative, dans une série d'auditions de syndicalistes. Depuis mardi et jusqu'à jeudi, ils auront entendu des représentants de la CFDT, de l'UNSA et CFTC mais aussi Jean-Claude Mailly, Philippe Martinez et Bernadette Groison, respectivement à la tête de Force ouvrière, de la CGT et de la FSU. Alors même que, vendredi, un rendez-vous a enfin été posé entre la ministre du Travail Myriam El Khomri et Philippe Martinez, pour tenter une sortie de crise.
«Nous avons lancé ces auditions pour vérifier la nature des positions des syndicats et ensuite, la semaine prochaine sans doute, prendre position en prévision de la nouvelle lecture», explique le chef de file de frondeurs socialistes, le député Christian Paul. Ces auditions, destinées à renouer le dialogue et à sortir du seul tête-à-tête entre le gouvernement et la CGT, dépassent le cadre du groupe socialiste qui suit le travail du député Christophe Sirugue, rapporteur PS de la loi.
«Nous ne sommes plus dans le vote automatique, dans une logique disciplinaire», se justifie Paul. Un euphémisme alors que la tentative de motion de censure de la gauche contre un gouvernement de gauche a déjà provoqué un séisme mi-mai… Manuel Valls avait dénoncé une «démarche aventureuse» ayant au moins le mérite de clarifier les positions entre «ceux qui s'arc-boutent sur le passé, et ceux qui préparent l'avenir».
Pour le moment, Christian Paul ne veut pas s'aventurer sur le terrain sensible d'une nouvelle motion de censure. «L'important aujourd'hui, c'est la relance du dialogue, sachant que la balle est dans le camp du premier ministre et du chef de l'État.» Un compromis doit être trouvé. Mais il faut qu'il soit «réaliste et ambitieux», prévient Paul, sans vouloir se substituer aux syndicats. Ensuite seulement, «si le gouvernement n'est disposé à rien changer, s'il décide d'échouer, le “jusqu'au-boutisme” aura changé de camp». Et alors «tout deviendra ouvert».
Sans en parler ouvertement car «ce n'est pas la séquence du moment», un député socialiste frondeur assure que les 58 députés nécessaires pour déposer une motion de censure sont cette fois-ci «largement réunis». Mi-mai, il n'en avait manqué que deux pour la déposer. «Nous avons mené un travail de conviction individuel depuis plusieurs semaines, explique ce parlementaire. Cinq à six d'entre eux étaient tangents, ils nous ont rejoints.»
Député européen socialiste et frondeur, Emmanuel Maurel a participé à ce travail de conviction en mai. Il ne souhaite pas confirmer cette information. «Nous n'en sommes pas encore là», élude-t-il comme Christian Paul. «Nous espérons vraiment ne pas en arriver à nouveau à l'usage du 49-3.» Emmanuel Maurel se dit convaincu que «tout le monde veut sortir du conflit, aussi bien à la CGT qu'au gouvernement». Mais il ne comprend pas «l'intransigeance» du couple exécutif, «arc-bouté pour des raisons symboliques». «La sagesse collective nous oblige pourtant, dit-il, à trouver un compromis sur la hiérarchie des normes comme sur la définition du licenciement économique».
Côté PS, le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis avait interrogé la haute autorité éthique de son parti sur de possibles sanctions contre les signataires socialistes de la tentative de motion. Celle-ci s'est montrée réservée étant donné l'échec de leur initiative. Mais si la motion est déposée, la ligne rouge sera clairement dépassée.